L’attitude est martiale. La silhouette mince et nerveuse est celle d’un sportif bien entraîné. Le visage, constamment bronzé, est taillé dans la pierre dure ; le regard, couleur d’océan ; le sourire, à peine perceptible. Si l’entrepreneur franco-israélien Beny Steinmetz n’était pas un aventurier traversant à coups de fouet les jungles africaines pour se tailler un royaume à sa mesure, on s’y tromperait. Mais chez les mercenaires des affaires comme chez les « affreux » de l’ère post-coloniale, les rêves d’empire se terminent toujours mal.

L’homme le plus riche d’Israël est aujourd’hui la cible d’une enquête pour tentative de corruption menée par le FBI et le bureau britannique des fraudes graves au sujet d’un contrat minier en Guinée. La justice américaine soupçonne la société minière helvétique Beny Steinmetz Group Resources (BSGR) d’être mêlée au versement de pots-de-vin à des dirigeants de ce pays pauvre d’Afrique occidentale pour obtenir la concession d’un riche gisement de minerai de fer. A la demande des Etats-Unis, des perquisitions des polices française et suisse ont été menées le 29 août dans les locaux d’une compagnie liée au baroudeur dont la fortune est estimée à 9 milliards de dollars (6,8 milliards d’euros). Le lendemain, le procureur de Genève a confirmé l’ouverture d’une enquête sur l’affaire guinéenne. L’intéressé dément en bloc ces accusations de corruption.

UNE ASCENSION FULGURANTE

S’il se présente volontiers comme un « Israélien du monde », Beny Steinmetz est né en Israël en 1956, à Netanya, station balnéaire située au nord de Tel-Aviv et point d’ancrage des francophones. Originaire de Pologne, son père, Rubin, tailleur de diamants, s’était installé en 1936 en Palestine où il avait été l’un des pionniers de l’industrie des gemmes. Sa mère Esther, originaire de Suisse, a été élevée à Anvers. En 1977, le jour de sa démobilisation de l’armée israélienne, Beny Steinmetz part pour Anvers où il apprend les rudiments du métier de diamantaire. Ici commence sa fulgurante ascension. Avec son frère aîné Daniel, il crée une société de négoce. « Il était capable, intelligent, rapide dans les décisions, charismatique. Il écrasait son frère à la personnalité plus terne. Surtout, Beny comprenait instinctivement le marché », se souvient l’une de ses relations d’affaires de la Pelikaanstraat, le centre névralgique du commerce des pierres.

Savoir acheter est la première qualité d’un diamantaire. Il doit reconnaître à la loupe la pierre qui, après la taille, sera la plus blanche, la plus pure. Beny Steinmetz excelle dans cet art. Dans les années 1970-1980, une compagnie secrète et toute puissante règne sur le diamant brut : la De Beers. Les émissaires à Anvers du trust sud-africain ont très vite repéré Beny Steinmetz qui devient l’un de leurs clients privilégiés.

Le continent noir assure en valeur plus de 60 % de la production mondiale de diamants parmi les plus purs au monde. Par le truchement de la redoutable et redoutée De Beers, Steinmetz prend pied en Namibie, en Angola, au Botswana, dans l’actuelle République démocratique du Congo et en Sierra Leone. Autant d’Etats fragiles où la corruption est endémique. A partir des années 1990, la De Beers perd progressivement son monopole. Les gemmes africaines tombent alors dans l’escarcelle des grands fauves de la profession, américains, israéliens, belges ou russes. Ils ont pour nom Maurice Tempelsman, Lev Leviev, Dan Gertler ou… Beny Steimetz. Par rapport à ses rivaux, ce dernier, qui parle l’anglais avec un fort accent hébreu, dispose d’un atout de poids dans les anciennes colonies françaises et belges : sa connaissance courante du français, la langue de ses parents.

UNE PHILOSOPHIE SIMPLE : LES AFFAIRES SONT COMME LA ROULETTE

Dans le monde du diamant, le pouvoir est à celui qui contrôle toute la chaîne, des mines à la bijouterie, et pas seulement le négoce. Beny Steinmetz se lance tout naturellement dans l’exploitation, comme en témoigne l’acquisition de concessions diamantifères dans l’ouest de l’Afrique à partir de 2006. C’est aussi dans les années 2000 qu’il entame une diversification dans le cuivre, le cobalt, le minerai de fer, l’ingénierie, le pétrole ou le gaz. De la Guinée à la Birmanie, du Nigeria au Kosovo, il connaît tous les réseaux et les hommes. Sa philosophie est simple : les affaires sont comme la roulette, on ne peut gagner le jackpot qu’en prenant des risques. Et jusque-là, le risque avait payé.

Le succès de la BSGR lui a ouvert les portes d’un monde de luxe et de paillettes. Il devient le fournisseur privilégié du joaillier Tiffany, qui pare les stars. Insigne faveur, la De Beers lui confie la taille du Millennium Star, une pierre en forme de poire de 203,4 carats d’une exceptionnelle pureté, créée pour célébrer l’an 2000. La marraine du deuxième plus gros diamant au monde est l’actrice Sophie Marceau, qui vient de jouer les James Bond Girl dans Le monde ne suffit pas.Fanatique de Formule 1, Beny-le-terrible sponsorise par ailleurs l’écurie Jaguar pour laquelle sa compagnie fait tailler deux diamants de 59,6 carats d’une valeur de 300 000 euros. Lors du Grand Prix de Monaco de 2004, les superbes pierres sont placées à l’avant des deux monoplaces. Une Jaguar sort de la piste. Quand les mécaniciens la récupèrent, le diamant a disparu à jamais au fond de la Méditerranée…

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Beny Steinmetz n’a rien du flambeur mondain. Il possède certes un yacht, ancré le plus souvent dans le sud de la France, mais il ne joue pas au poker ni au polo et ne collectionne pas les oeuvres d’art. Si, dans son métier qui le conduit dans les régions parmi les plus dangereuses du monde, on récolte des tas d’anecdotes sur l’âme humaine, lui en est avare. L’autodidacte brut de décoffrage et volontiers misanthrope parle rarement aux médias. Il reste insaisissable. La respectabilité, ce quinquagénaire autoritaire et colérique n’en a jamais voulu. Sa grande ambition n’est pas de se « notabiliser » en recevant une quelconque Légion d’honneur, mais de vivre tranquille à l’abri des médias.

« CONSEILLER NON EXÉCUTIF » D’UNE NÉBULEUSE D’ENTREPRISES

Sur le plan de la politique israélienne, Steinmetz passe pour un modéré. Il est très lié à Ehud Olmert, premier ministre israélien de centre droit entre 2006 et 2009, écarté à la suite d’accusations de corruption. L’ancien chef du parti Kadima est l’un de ses plus proches conseillers. En revanche, en économie, son message est clair : le système de la libre entreprise est le seul qui fonctionne et il rendra tout le monde plus riche pourvu que l’Etat, ou toute autre institution, ne l’étouffe pas. Pour lui, cela signifie payer le moins d’impôts possible par le biais de structures offshore, ce qui lui a valu des démêlés avec le fisc israélien. Il réside d’ailleurs à Genève pour des raisons fiscales depuis 2005, n’exerce officiellement aucune fonction de direction au sein du groupe présent aux quatre coins du monde qui porte pourtant son nom. Il est seulement « conseiller non exécutif » d’une nébuleuse d’entreprises gérées comme une PME depuis Londres, et dont il est le seul à comprendre les rouages. Le nombre de strates hiérarchiques est réduit et la réunionite est bannie. Cette formidable galaxie de sociétés est contrôlée par un trust dont il est le bénéficiaire aux côtés de son épouse Agnès et de leurs quatre enfants. Le couple, qui vit à Herzliya, le quartier le plus chic de Tel-Aviv, a créé une fondation philanthropique d’aide à l’enfance.

Beny Steinmetz fonctionne sur le mode du « one-man-show », indique un collaborateur. Cette personnalité toujours active, explosive même, prompte aux coups de gueule est dénuée de toute mesure. « Je pense être équilibré, mais beaucoup vous diront que je suis un être impitoyable », a-t-il confié au quotidien israélien Yedioth Ahronoth, dans l’une de ses rares interviews, publiée le 30 juin 2013. Son impatience lui joue parfois de mauvais tours. Ainsi, il s’est désengagé du consortium Isramco d’exploration du gaz dans la partie orientale de la Méditerranée juste avant la divine surprise de la découverte du gisement de Tamar, au large des côtes israéliennes.

Dans le petit marigot des acteurs africains, les crocodiles ne se font pas de cadeaux. Cet industriel brutal ne manque donc pas d’ennemis. A commencer par le spéculateur George Soros, dont l’organisation Revenue Watch Institute conseille le président guinéen Alpha Condé dans son bras de fer avec Beny Steinmetz. Ou encore l’ex-premier ministre britannique Tony Blair, qui oeuvre notamment à la transparence des contrats miniers. Mais l’adversité semble stimuler Beny Steinmetz : « C’est la guerre et je peux vous assurer que nous allons la gagner », affirme-t-il à propos du contentieux guinéen. Reste qu’il est devenu de plus en plus risqué de mêler baroud et business. Pour l’avoir oublié, il pourrait perdre son royaume.

Source : Journal LEMONDE.fr