A l’occasion de l’inauguration de l’Espace numérique universitaire et scolaire (ENUS), notre rédaction a rencontré Son Excellence Monsieur l’ambassadeur de la France en Guinée. Dans cet entretien exclusif, utilisant bien entendu les subtilités des propos diplomatiques, il n’en délivre pas moins quelques convictions personnelles.

Avec M. Bertrand Cochery, notre rédaction a parcouru la vaste palette des relations franco-guinéennes. Tout simplement édifiant !
GuineeConakry.Info: Nous venons d’assister à l’inauguration de l’Espace numérique universitaire et scolaire (ENUS) dont la réalisation a nécessité une forte contribution de l’Ambassade de France en Guinée. Quelles sont vos impressions ?
Bertrand Cochery: En tant qu’ambassadeur et ayant contribué à la réalisation de ce projet, je suis très heureux qu’on soit arrivé aussi rapidement à ce résultat. Quand j’ai rencontré la première fois Baïlo Téliwel Diallo (Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, NDLR), au lendemain de sa nomination, une des premières choses qu’il m’a demandées, c’est « qu’est-ce que la France peut faire pour la Guinée, en vue de l’aider à rattraper son retard en matière d’enseignement numérique, d’enseignement à distance et d’accès aux Nouvelles technologies dans ce domaine ? »Cela pouvait parfaitement entrer dans nos projets de coopération universitaire. Et c’est pour cela qu’on s’est engagé dans cette politique de soutien qui a plusieurs volets. Ce sont notamment des projets de formation en France, dans le cadre d’un partenariat entre l’Institut supérieur de formation à distance (ISFAD) et l’équipe de master en ingénierie pédagogique de l’Université des Sciences et technologies de Lille-1. Nous avons également mis en place des formations pour les cadres qui bénéficient de bourses du gouvernement français, avec Lille. Des scanners et des équipements de haute capacité, notamment des serveurs ont été fournis. Enfin, à l’occasion de cette inauguration, j’ai signé une convention qui permet à l’ENUS de fonctionner, en disposant d’électricité en continu avec un groupe électrogène adapté. Le tout pour une enveloppe de  70.000 €. Ce qui est, quand même, une somme assez importante, pour marquer notre contribution et notre soutien à ce projet.
C’est un vrai partenariat qui a de l’importance, dans la mesure où je suis persuadé, comme je l’ai dit dans mon discours, que le 21ème siècle  sera africain et que, dans ce 21ème siècle africain, les pays francophones auront un rôle tout particulier à jouer. La Guinée est un pays francophone, la Guinée est un pays qui veut aller de l’avant, la Guinée doit pouvoir participer à ce 21ème siècle de l’échange des savoirs. Et quand on est dans un pays où on connait toutes les difficultés de vie quotidienne, de logement notamment pour les étudiants ;  tout ce qui peut contribuer à alléger la charge de travail et à dématérialiser l’accès au savoir, à être moins tributaire des espaces physiques, tout cela peut permettre d’améliorer les conditions de vie et d’études. D’où l’importance de l’ENUS.
GCI: Dans votre discours de circonstance (lors de la cérémonie d’inauguration de l’ENUS, NDLR), vous aviez mentionné une somme de 200.000 € qui permettrait d’offrir une vingtaine de bourses à des Guinéens. Mais au cours du même discours, vous avez subtilement demandé au gouvernement guinéen de s’investir davantage pour accroître le nombre de boursiers guinéens. Est-ce à dire que l’Etat guinéen ne s’investit pas suffisamment dans ce domaine précis ?
B.C: Je pense que le message que j’ai fait passer tout à l’heure est très clair. Aujourd’hui, nous avons, gérée par l’Ambassade de France, une enveloppe de crédit pour les bourses. Cette enveloppe de 200.000 € est entièrement financée par nous. On pourrait faire plus, si l’Etat guinéen participait dans le cadre d’un cofinancement. Si vous êtes dans un cofinancement, cela veut dire qu’en fonction des montants qui sont mis, vous pouvez passer de 20 à 40 ou de 20 à ¬¬60 boursiers par exemple !
GCI: C’est donc un appel subtil ?
B.C: C’est un appel subtil, comme vous le dites. Pour que le dossier qui est en cours d’examen et de réflexion à la présidence de la République puisse aboutir à l’engagement d’un véritable partenariat. C’était normal qu’en ce jour où nous avons apporté quelque chose, nous rappelions aussi qu’il y a moyen de faire plus, mais de faire plus ensemble.
GCI: Un des intervenants à la cérémonie a dit que les 70.000 € représentent un montant important. Mais que de la part de la France, on se serait attendu à davantage… ?
B.C: Excusez-moi, mais 70.000 €, c’est très important ! Par ailleurs, nous sommes dans une phase de démarrage de projet. Je crois qu’il faut aussi inscrire ce développement dans la durée. Là, on est sur l’amorce. C’est la mobilisation rapide de crédits. Il vaut mieux commencer vite, avec une enveloppe raisonnable, que de vouloir monter de grosses constructions, sans capacité d’absorption par le partenaire. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de suite. C’est tout le contraire.
GCI: Alors, toujours dans le domaine culturel. Au regard des relations étroites entre la Guinée et la France, certains pensent que le Centre culturel franco-guinéen qui est actuellement l’un des principaux espaces culturels du pays, est désormais petit pour ne pas dire restreint. Alors peut-on envisager la construction d’un nouveau centre, ou bien l’agrandissement de celui qui existe déjà ?
B.C: Pour répondre à votre question, je dirais que le Centre culturel tourne bien. Il est bien utilisé parce qu’il a, à sa tête, un directeur, M. Daniel Couriol, qui a une vraie politique de programmation. Qui sait très bien équilibrer entre les créations guinéennes et les créations françaises en Guinée. Par exemple, je ne sais pas si vous l’avez vue, mais la dernière pièce, Tartuffe de Molière, c’est le texte intégral français, monté par Ansoumane Condé et la troupe de théâtre, Ici et Ailleurs. Donc, des actrices et des acteurs guinéens, respectant le texte, le jouant et le jouant admirablement bien ! C’est cela le mariage, le métissage culturel franco-guinéen dans ce centre. Donc, aujourd’hui, ce centre tourne bien. Est-ce qu’il faut un autre espace ? Je préfère dire, « utilisons bien ce qu’on a aujourd’hui, continuons à consolider, continuons à bâtir et à renforcer les partenariats avec les entreprises qui nous soutiennent ; notamment les entreprises françaises, comme Total, Air France, Bolloré, etc. Si demain, on voit qu’il y a besoin d’un autre espace, il faudra réfléchir à la localisation. » Sans doute, compte tenu de l’avenir de Conakry, faut-il réfléchir davantage à un réseau entre plusieurs espaces dans la ville que d’avoir un seul espace très important. Regardez en effet Conakry. Aujourd’hui, c’est une capitale qui a 42 km de profondeur. Des quartiers qui poussent et qui se développent notamment du côté de Matoto ou de Ratoma. Des quartiers qui n’ont pas aujourd’hui d’espaces culturels. Des quartiers qui ne sont pas urbanisés. Je pense que les espaces culturels font partie de l’urbanisme. Au même titre que la santé, l’école et toutes les activités qui permettent à des citoyens de se sentir bien dans « leur espace ». Peut-être qu’il faudrait davantage penser en termes de « lieux-relais » dans d’autres quartiers de la ville, que créer un méga palais culturel dans un endroit qu’on essaiera de trouver à mi-chemin entre Kaloum et la banlieue.
En tout cas, pour revenir à la question, je dirais que nous préférons travailler en projection et en décentralisation des activités à travers toute la ville.
GCI: Quelle appréciation faites-vous du climat sociopolitique de la Guinée, au lendemain de la mise en place de l’Assemblée nationale ?
B.C: La réponse que j’apporterai à cette question est simple. Il faut que l’Assemblée nationale joue tout son rôle, et pleinement son rôle. Il faut lui donner cette chance. Il y a eu beaucoup d’énergie d’engagée au cours de l’année 2013, de la part de tous (acteurs politiques, gouvernement, communauté internationale, partenaires internationaux, etc.) pour qu’on aille à ces élections. Ces élections ont eu lieu. Il y a maintenant une Assemblée nationale représentative du peuple de Guinée et de la nation. Elle a un agenda important, qui est un agenda législatif, qui est un agenda de discussions politiques et qui est aussi  un agenda de vote du budget. Elle doit devenir, pour reprendre le terme grec, l’agora ou, pour reprendre le latin, le forum. Le lieu où les représentants du peuple discutent, échangent, s’affrontent, parfois verbalement, pour que les disputes qui ont pu avoir lieu dans la rue, aient lieu maintenant dans une enceinte. Selon des règles et le respect des règles du jeu, du débat, pour que l’on construise de la démocratie dans cette enceinte d’une Assemblée nationale.
Il n’y a pas de peuple qui puisse forger, bâtir, construire, consolider son destin, sans une Assemblée nationale. Elle fait partie de la répartition et de la séparation des pouvoirs. L’Exécutif d’un côté, l’Assemblée nationale de l’autre, le pouvoir judiciaire dans un troisième, sans oublier, bien entendu, le pouvoir de la presse et des médias. Donc, je souhaite ardemment que cette Assemblée joue pleinement son rôle. C’est la raison pour laquelle nous avons fait, au cours de l’année 2013-et nous allons continuer cette année-un travail de coopération avec l’Assemblée nationale française, dans le cadre de missions de conseils, de formation sur l’organisation, le déroulement du débat, la structuration du travail des parlementaires, pour que cette Assemblée nationale puisse vraiment être l’Assemblée de la démocratie guinéenne.
GCI: Vous dites « Il faut lui donner toute la chance ».  A qui votre appel est-il adressé ?
B.C: Mon appel est adressé à tous les  députés de Guinée, pour qu’ils s’engagent franchement, sincèrement, dans ce travail au service de leur peuple, au service de leur nation, dans un travail qui se fait avec le gouvernement pour œuvrer ensemble, l’Exécutif, le Législatif, main dans la main. Le législatif, c’est l’instance qui élabore les lois, qui les vote. L’exécutif, c’est celle qui propose les projets les lois et qui les met en œuvre. C’est un travail d’ensemble. C’est un travail d’équipe pour un grand projet qui s’appelle la Guinée de demain.
GCI: On a l’impression que les présidents Alpha Condé et François Hollande entretiennent des relations très étroites. Y êtes-vous pour quelque chose… ?
B.C: C’est vrai qu’un ambassadeur travaille sur des instructions qu’il reçoit au moment de partir (quand il prend ses fonctions). L’ambassadeur, c’est le représentant du chef de l’Etat dans le pays où il est accrédité. Donc, il joue un rôle de facilitateur des relations. Le rôle n’est pas le même d’un pays à un autre. Il peut être facilité ou rendu plus compliqué, selon les situations. Dans le cas présent, c’est vrai qu’en juin 2012, le président Alpha Condé est allé à Paris. Et depuis ce moment, les échanges entre la Guinée et la France sont plus réguliers, plus denses. Je pense qu’il y avait une attente du côté guinéen et une conscience du côté français, du rôle que joue la Guinée par rapport à son histoire et par rapport à l’espace africain.
Par rapport à son histoire, nous savons par quelles étapes la Guinée est passée au cours de ces dernières années. Nous savons quelles sont les attentes de ses populations. Et nous savons que nous pouvons l’aider à construire l’avenir dans l’intérêt de ses populations. Par rapport à l’espace, nous voulons et nous souhaitons que la Guinée joue pleinement son rôle dans l’espace sousrégional. L’époque est révolue, où la Guinée était un pays isolé à l’intérieur de l’Afrique de l’ouest. Au contraire, et on l’a vu avec l’inauguration de cet espace numérique universitaire, on est dans un monde où les frontières sont abattues, les unes après les autres. C’est le cas notamment de celles du savoir, des idées. Donc, permettre à la Guinée d’être de plain-pied dans cette Afrique du 21ème siècle, fait partie de ma feuille de route, de l’esprit de coopération entre nos deux pays. Ce qui se reflète par exemple dans les grands thèmes du contrat de« désendettement-développement » (agriculture, formation professionnelle, enseignement, développement local)  qui a été signé l’an dernier. Prochainement, nous travaillerons   ensemble un projet de « document-cadre de partenariat » que nous signerons bientôt, où l’on retrouve ces grandes thématiques, en y ajoutant celles des mines et de l’énergie, qui sont des secteurs d’avenir, comme tout le monde le sait. Des domaines où la Guinée a des ressources, et où nous pouvons aider à leur mise en valeur, notamment à travers une politique de formation professionnelle, pour que les Guinéens tirent bénéfice de leur essor économique.
GCI: Il y a cependant une sorte de paradoxe entre les relations fortes entre Conakry et Paris, et le peu de visibilité des investisseurs français sur le terrain guinéen. A l’exception de Bolloré, les entrepreneurs français sont comme frileux. C’est notamment le cas dans le domaine minier que se disputent les sociétés anglo-saxonnes, asiatiques et celles du Golfe. Comment expliquez-vous cela ?
B.C: Il faudrait peut-être faire un retour en arrière, pour rappeler ce qu’a été l’histoire des sociétés françaises dans le secteur minier guinéen. Puisque vous savez que jusqu’en 1998, à Fria, il y avait l’usine de Friguia, où la société Pechiney était le bras opérateur. Et puis, Pechiney est partie et, en tant que Guinéen, vous savez mieux que moi ce qu’ont été les avatars de Fria. De fait, les grands groupes dans le secteur minier, dans les industries extractives, sont notamment à dominante anglo-saxonne, asiatique ou du Golfe, comme vous le dîtes. Est-ce que ça veut dire que la France n’a pas vocation à être présente dans ce secteur ? Je ne pense pas. Je pense par exemple à des domaines dans lesquels on a de la compétence. En particulier à la cartographie minière. Il y a quelques mois, un Bureau de recherche géologique et minière (BRGM), qui est la mémoire de la carte minière de la Guinée, était de nouveau présent ici en Guinée, pour une première mission de contact. De même, nous pouvons avoir des fournisseurs français qui peuvent être intéressés par le marché minier. Vous ne pouvez pas faire de mine sans travaux publics. Parce qu’en amont de l’extraction, il y a l’acheminement et tous les ouvrages d’art qu’il faut réaliser. Or, vous avez des entreprises qui sont présentes, et bien présentes. Vous avez cité le cas de Bolloré, mais je vous citerai volontiers SOGEA SATOM par exemple, qui est une très belle  entreprise et qui a réalisé l’échangeur autour de l’ancien Pont du 8 novembre.
Parmi les autres entreprises françaises qui sont présentes, regardez le réseau bancaire. Regardez le nombre d’agences de la SGBG (filiale de la Société Générale, NDLR), regardez le nombre d’agences de la BICIGUI (filiale de la PNB Paribas, NDLR), regardez le nombre de stations-service Total. C’est peut-être justement parce que ces entreprises font tellement partie du quotidien des Guinéens, qu’elles ne sont pas vues comme étant des entreprises françaises. Elles sont totalement incorporées comme étant guinéennes. D’un certain point de vue, je dirai que c’est un très bon signe d’intégration.
Regardez par exemple le semi-marathon de Conakry, cette manifestation qui en est à sa troisième édition, qui se termine au stade du 28 septembre. Qui en sont les organisateurs ? Total et, depuis l’année dernière,  BICIGUI. Là aussi, c’est de la présence française.  Que dire d’Orange, par exemple, une marque française par excellence, même si c’est Orange Sénégal qui en est l’opérateur en Guinée. C’est une belle enseigne. Vous avez cité Bolloré. Effectivement, parce que Bolloré est présent sur un grand ensemble de projets qui vont du port conteneurs jusqu’au terminal de Kagbélèn, avec le chemin de fer. C’est un investisseur structurant.
Dans le domaine de la certification, Veritas, une autre entreprise française opère en toute efficacité. Ce sont des exemples que je vous cite pour dire qu’il ne faut pas réduire la présence économique au seul secteur des mines. Même si c’est effectivement un secteur-levier considérable que nous ne sous-estimons pas, je considère qu’une présence d’entreprises, c’est aussi la valeur ajoutée humaine pour le pays. S’agissant de Totalou de Bolloré, ces deux entreprises ont une politique de formation professionnelle directement utile pour le pays. Savez-vous par exemple qui conduit actuellement les camions de déchargement des conteneurs dans le port de Conakry ? Ce sont des femmes qui ont été formées par Bolloré ! Des femmes conduire des camions, ce n’est pas fréquent sur les routes de Guinée et, ça peut surprendre au premier-abord. Il n’empêche. D’abord, c’est très bien parce que ça donne de l’emploi aux femmes. Cela prouve qu’elles sont dynamiques, on le savait. Qu’elles participent pleinement de l’essor du pays, on en était convaincu. Et qu’il n’y a pas de secteur qui soit par définition interdit ou hors d’accès. Regardez les camions Total qui circulent dans tout le pays ? Pour qu’un camion qui transporte du carburant puisse circuler en toute sécurité,  cela suppose une politique de formation de sécurité. Ces éléments-là sont des éléments qu’il ne faut pas, à mon avis, sous-estimer.
GCI: Et dans l’agriculture ou encore dans le secteur du tourisme ?
B.C: Dans le secteur du tourisme, il y a eu beaucoup de déconvenues par le passé. Le secteur du tourisme suppose qu’il y ait aussi une politique d’infrastructures routières. On connait les charmes et les beautés de la Guinée. On peut ouvrir des hôtels. Mais pour qu’un hôtel fonctionne, il faut que la clientèle puisse y accéder de manière relativement facile. Aujourd’hui, les plus beaux sites de la Guinée sont surtout fréquentés par ceux qui y résident. Parce qu’ils ont eu le temps d’aller, de sortir de Conakry, de prendre facilement une bonne demi-journée pour aller jusqu’à Dalaba par exemple, pour ne citer que ce très très beau site.
On ne pourra véritablement développer d’hôtellerie de plus grande capacité que lorsqu’on pourra circuler plus rapidement. Je sais qu’il y a des travaux qui sont en cours, notamment pour faciliter la sortie de la ville de Conakry. Je pense que les deux doivent aller de pair. Effectivement, il y a matière à développer davantage de l’hôtellerie dans Conakry, sur les îles et à l’intérieur du pays, à condition d’avoir un réseau routier plus rapide, plus sûr et plus simple. On en parle, il n’y a pas de tabous sur ces sujets-là.
Je souhaite qu’on puisse aller plus loin, bien entendu. Vous avez cité le secteur agricole qui est vital pour la Guinée, dans lequel nous sommes bien présents, notamment avec les projets de l’Agence française de développement (AFD), un grand opérateur de développement notamment en Guinée Forestière avec la rizi-pisciculture et sur la Basse Côte avec le riz de la mangrove. De manière à avoir des projets qui soient rentables, respectueux de l’environnement et valorisants pour les populations locales.
Tout cela fait partie des grands axes d’effort, des secteurs de concentration du contrat de désendettement-développement pour les prochaines années. Faire venir plus d’entreprises françaises en Guinée et faire redécouvrir « la destination économique Guinée ». Nous avions eu en 2013, une mission d’un forum qui s’appelle ADEPTA, qui regroupe un certain nombre d’investisseurs dans le secteur rural et agricole. Je pense que là, il y a maintenant avec Mme Jacqueline Sultan (ministre de l’agriculture, NDLR), un champ de coopération qui s’ouvre et que j’espère pouvoir concrétiser autour de projets intéressants pour la Guinée et pour la France, au cours de l’année prochaine.
Le Président Alpha Condé avait rencontré le MEDEF International à Paris, en novembre 2013. Le MEDEF International va revenir en Guinée, pour mieux apprécier les opportunités d’investissement, notamment dans le secteur de l’énergie.
GCI: Récemment, Cellou Dalein Diallo était à Paris pour requérir des autorités leur implication en vue de faire organiser les élections communales et communautaires. Quelle réponse avait-il reçue ?
B.C: Les hommes politiques font leurs déplacements dans les capitales. Ils ont leurs échanges. Quand il s’agit d’organiser les élections, c’est d’abord et avant tout de la compétence de l’Etat guinéen. Sur cette question, il faut se souvenir que nous avons tous signé en juillet 2013, un document baptisé « Accord du 3 juillet 2013 » dont je n’ai pas à énumérer les détails ici, mais qui fait partie des éléments à prendre en compte dans l’organisation des futures élections en Guinée. Voilà ce que je peux dire en ce moment.
GCI: Mais d’ores et déjà il y a déjà un retard dans l’application de certaines dispositions de cet accord. Qu’en dites-vous ?
B.C: Non, il n’y pas de retard, dans la mesure où l’accord ne comportait pas de dispositions spécifiques. Mais de toutes les façons, le plus important c’est que les choses soient faites dans l’ordre, correctement et, encore une fois, c’est de la compétence de l’Etat guinéen. Si les partenaires internationaux sont sollicités par le gouvernement pour aider, ils peuvent bien entendu étudier ces demandes du gouvernement.
L’organisation des élections, c’est d’abord une affaire de compétence gouvernementale. S’il y a des réformes qui doivent être engagées, et si elles doivent donner lieu à des discussions, dans ce cas, c’est au parlement de les examiner. Mais encore, ne mettons pas les partenaires internationaux à une place qui n’est pas la leur. Ils n’ont pas à se substituer aux principaux acteurs que sont un gouvernement et les partis politiques. Sinon, on est dans une confusion des genres qui n’est profitable à personne.
GCI: Récemment à Kindia et aux côtés du chef de l’Etat, vous avez tenu des propos qui s’apparentent à un clin d’œil fait aux victimes du camp Boiro. A la réconciliation nationale… Cela voudrait-t-il dire que la France est prête à aider à ouvrir ce dossier épineux de l’histoire de la Guinée ?
B.C: Un clin d’œil ? Plutôt, un hommage, et un appel. J’étais avec mon collègue Philippe Van Damme, le Délégué de l’Union Européenne, car nous sommes deux partenaires engagés dans ce projet de dépollution du site militaire localisé au pied du mont Gangan, où a été entassé et enterré, depuis des dizaines d’années un véritable arsenal, d’obus, de bombes, de mines. Un véritable danger pour la population, qui a coûté la vie à deux jeunes qui cherchaient à récupérer du cuivre, en 2013. Donc, à la demande du Président, nous avons rassemblé nos moyens financiers et le savoir-faire des démineurs français pour dépolluer ce site.
A proximité de ce site, nous savons tous que sont enterrées les dépouilles des victimes de la Première République et des exécutions qui ont suivi, au début de la Deuxième République, la tentative de coup d’Etat du général Diara Traoré, en 1985.
Dépolluer ce site de Kindia, c’est rendre un lieu accessible, c’est offrir à la Guinée la possibilité de consacrer ce lieu comme lieu de mémoire, en hommage aux victimes de la Première et de la Deuxième République.
A l’invitation du Président, il y avait, ce jour-là, des représentants des familles des victimes du camp Boiro et des exécutions de 1985. C’est très important. J’ai l’espoir que nous ayons franchi un pas considérable dans la bonne direction, celle du travail de mémoire, de l’hommage et de la réconciliation.
GCI: Quels soutiens les ONG françaises résidant en Guinée reçoivent-elles de la France pour que leurs interventions soient efficaces ?
B.C: Les ONG qui interviennent en Guinée comportent des éléments français, mais vous pouvez avoir le label général de l’ONG qui, lui, n’est pas français. Médecins Sans frontières, c’est un nom français. Mais ce n’est pas MSF-France qui est en Guinée. Le monde des ONG est un monde qui a de la souplesse dans ses constructions. C’est cela d’ailleurs qui les rend efficaces. Ce sont des sommes de personnes, médecins, soignants, venant de tous horizons et qui sont rapidement déployables sur le terrain.
Ce sont de grands partenaires dans cette affaire. Il ne faut pas oublier de les citer. Ce sont elles qui sont présentes sur le terrain. L’OMS travaille avec elles. Et les renforts qui sont envoyés par la France, je pense notamment à la Guinée Forestière, avec des éléments venant de l’Institut Pasteur, des anthropologues également, contribuent à épauler le travail de MSF. A un moment donné, on a pu dire de cette épidémie qu’elle était sans précédent.
On a pu s’interroger sur la notion de « sans précédent » par le fait que l’épidémie était en Afrique de l’Ouest pour la première fois. Or, quand vous discutez sérieusement avec les experts sur cette question, -j’ai notamment eu un long entretien avec M. Sylvain Baize (responsable du centre national de référence des fièvres hémorragiques virales de Lyon, France, NDLR),- on s’aperçoit que le réservoir, à savoir une espèce de chauve-souris, est présent en Guinée de longue date. Le bassin de vie de cette chauve-souris va de l’Afrique centrale à la Guinée, jusqu’au Sénégal. Déjà, si on sait cela, on relativise la notion de « sans précédent ».
Une telle épidémie serait une épreuve pour n’importe quel pays, qui en ferait l’expérience la première fois. Plutôt que de dramatiser, il faut se responsabiliser, avoir les bons conseils, les bonnes postures. C’est ce que nous avons essayé de faire, en travaillant étroitement avec le gouvernement guinéen, dont je tiens encore à souligner la mobilisation dans cette affaire. On va continuer. C’est un partenariat qui joue dans la durée.
Pour vous donner un exemple, après avoir pris tous les conseils médicaux sur le mode de transmission,  et en liaison avec le Centre de Crise du ministère des Affaires étrangères à Paris, nous avons laisser ouverts le Lycée français et le Centre culturel franco-guinéen. Ce qui n’aurait pas été le cas, si ça avait été une épidémie de méningite. Quand vous avez une épidémie de méningite dans une classe, la contamination est très rapide. Dans un tel cas, on aurait fermé. Nous ne sommes pas confrontés au même type d’épidémie. Il faut réagir de façon calme et raisonnée, sur la base de données et d’évaluations scientifiques.
GCI: La Guinée subit actuellement une épidémie d’Ebola. Quelques pays ont relativement isolé la Guinée. Mais pas la France. Quel rôle y avez-vous joué ?
B.C: Il faut tout d’abord relativiser la question de l’isolement. Si on prend des mesures en matière de circulation des personnes, il faut le faire sur des bases vérifiées. Qui peut donner un avis motivé sur cette question ? Ce sont principalement les autorités sanitaires internationales qui sont l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), différents chercheurs, médecins, de l’Institut Pasteur, de l’INSERM, etc. qui sont présents en ce moment en Guinée, qui peuvent et qui donnent un avis à ceux qui le demandent.
Sur la base de ces avis, pour ce qui est de l’Ambassade de France, nous mettons en ligne, sur notre site, de l’information pondérée aux meilleures sources médicales et scientifiques. Idem pour les conseils aux voyageurs. Les conseils aux voyageurs mis en ligne sur le site du ministère des Affaires étrangères (dans quelles conditions il faut venir ou ne pas venir en Guinée), ce sont des choses qui ne s’improvisent pas. Qui, au contraire, demandent à être soigneusement pesées, en fonction de la situation de l’épidémie. C’est la raison pour laquelle, par prudence, nous avons déconseillé, sauf raison professionnelle impérative (médecins, membres d’équipes de soins), les quelques préfectures (Guéckédou, Kissidougou et Macenta) qui, en Guinée Forestière, sont touchées par l’épidémie. Pour le reste, nous n’avons pas de restriction aux voyages en Guinée.
Nous avons recueilli l’avis des médecins de l’institut Pasteur, des médecins du CDC d’Atlanta et des experts, souvent pasteuriens eux-mêmes, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). On sait donc que ça n’a pas de sens de faire des restrictions aux voyages vers la Guinée, en dehors de la zone la plus touchée en Guinée Forestière. Parce que ce n’est pas comme ça qu’on contracte Ebola. Il s’agit d’une fièvre de contact, une épidémie de contact. On sait très bien dans quelles circonstances, on peut « attraper la fièvre » et dans quelles autres circonstances, on n’a pas de risque de le faire. Ce n’est pas une grippe. Ce n’est pas une maladie aérienne. Et, je crois qu’il est très important de le rappeler. Il a pu y avoir de la confusion au départ. Mais je pense qu’à force de prodiguer des conseils, de diffuser des recommandations, on arrive à ce que, progressivement, les esprits soient un peu rassérénés par rapport à cette épidémie et à son évolution. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas rester vigilant. Bien au contraire. Une épidémie, on n’arrive à la vaincre que dans la durée. Et dans cette durée, il peut toujours y avoir des accidents et des rebonds. Tout le monde y met du sien : c’est-à-dire d’un côté les autorités gouvernementales, qui sont pleinement mobilisées, ministère de la santé en tête-je rends ici hommage au Dr. Sakoba Keïta et à tous les professionnels de la santé de Guinée qui ont payé le prix le plus lourd dans le traitement de l’épidémie, dans le traitement des malades. Il y a le soutien des partenaires internationaux- la France,  qui a identifié le virus avec l’Institut Pasteur, envoie régulièrement des médecins, des professeurs, des chercheurs pour épauler le ministère de la santé, qui a mobilisé une aide financière au profit de la Croix rouge guinéenne, et qui va continuer son appui en offrant à la Guinée des thermomètres à infrarouge, de manière à pouvoir prendre les températures des personnes à contact à surveiller, pour voir comment elles évoluent, sans prendre de risque pour le personnel médical. Je voudrais naturellement saluer le travail de MSF sur le terrain.
Enfin, il y a la mobilisation des différents acteurs sociaux, des relais de la société civile, qui sont en contact avec la population pour la responsabiliser. Une épidémie, ça peut se vaincre. Mais on ne peut la vaincre que si chacun est pleinement responsable. Citoyens, médecins, partenaires internationaux, ensemble, si on forme une chaine de responsabilité, on peut y arriver. Et je suis persuadé qu’on y arrivera.

Source : GuineeConakry