Le 11 novembre 2008, nous quittait à jamais Maître Kèlètigui Traoré chef d’orchestre de l’ensemble de musique moderne Kèlètigui et ses Tambourinis. Avec le temps qui inexorablement passe, son souvenir s’efface. Pour la simple raison, que pratiquement rien n’est entrepris pour immortaliser le défunt et bien d’autres artistes, qui se sont investis leur vie durant pour porter haut le flambeau de notre culture. Ces émérites compatriotes méritent la reconnaissance éternelle du pays.

Né le 26 mai 1934 à Conakry, beaucoup ne le savent pas, feu Kèlètigui Traoré n’a pas embrassé immédiatement la musique. A la suite de ses études à Conakry, il exerça le métier de pompiste à la place de son père. Avant d’être agent auxiliaire de police, il sera quelques années tailleur. Nous tenons cette révélation de son épouse Mama Fézé, qui vit encore à Sandervalia dans la concession familiale.

Atteint par le virus de la musique, Kèlètigui Traoré commence à flirter avec le banjo, mais a aussi joué de l’accordéon, la guitare et la basse. En 1951, il prend des cours de saxo avec deux français basés à l’hôtel de France, qui jouaient sur le pan pan de cet établissement. Entre temps, il avait aussi côtoyé Maître Gadirou de Kindia auprès duquel il a consolidé ses connaissances musicales. En 1956, la Guinée perd la gestion de l’hôtel de France, et Kèlètigui grâce aux économies qu’il avait patiemment constituées, achète des instruments avec René Bertrand, chef d’orchestre, pour constituer une nouvelle formation musicale Harlem Jazz.

Ils sont considérés comme le meilleur orchestre de Conakry et tiennent le devant de la scène musicale jusqu’à l’indépendance en septembre 1958. En mars 1959, lors du premier congrès de la Jeunesse de la Révolution Démocratique Africaine (JRDA), les jeunesses du PDG, il est décidé de dissoudre tous les groupes privés guinéens. Sous Sékou Touré, l’époque des groupes guinéens jouant de la musique étrangère ou française est révolue. Le président annonce à la radio nationale que « si l’on ne sait pas jouer la musique de son propre pays, il est préférable d’arrêter de jouer complètement ». Des musiciens tels que Kèlètigui, Momo Wandel et Balla Onivogui sont invités à rejoindre un nouveau groupe, le Syli Orchestre National, créé par le gouvernement guinéen et dirigé par Kanfori Sanoussi. Ce groupe « de chambre » rassemble l’élite des musiciens guinéens.

Le gouvernement confie aux membres de l’orchestre la lourde responsabilité de former de jeunes musiciens à travers le pays aux rudiments de la composition et de la technique. Le Syli Orchestre National forme donc un grand nombre des groupes qui vont constituer la trame du réseau d’orchestres régionaux de Guinée. Grâce à leurs efforts, la musique guinéenne se développe rapidement dès le début des années 1960 et l’orchestre Syli Orchestre National grandit tellement qu’il est dissout à son retour du 8ème Festival de la Jeunesse et des Étudiants (même si plus tard il se reformera lors de divers événements d’envergure tels que le premier Festival Culturel Panafricain organisé à Alger, en 1969, où ils remportent la médaille d’argent). La séparation de l’orchestre donne lieu à la création de deux nouveaux groupes. Kèlètigui est nommé chef d’orchestre de l’un, alors que Balla Onivogui prend la direction de l’autre. L’orchestre de Kèlètigui prend résidence à la Paillote et enregistre aux studios de la Voix de la Révolution à Conakry sous le nom de l’Orchestre de la Paillote.

Au milieu des années 1960, l’orchestre est rebaptisé Kèlètigui et ses Tambourinis. En 1967, lors du premier « Concert Guinéen », ils jouent en public une version de 60 minutes de Soundiata, l’épopée traditionnellement contée par les griots. C’est également le premier groupe guinéen à introduire dans un orchestre un orgue électronique, souvent remplacé par le balafon, instrument à bois d’Afrique de l’ouest proche d’un grand xylophone.

Homme-orchestre, touche à tout,  Maître Kèlètigui était un musicien hors pair, qui rivalisait avec les meilleurs saxos d’Afrique. Instrumentiste et arrangeur, ses partitions dans Sax Parade ou son intro dans le best Maderi ne laissent personne indifférent. Pour mesurer le talent de Maître Kèlètigui, je vais citer une américaine spécialiste de jazz qui dépeint en ces termes la personnalité musicale de Kèlètigui. Citation ‘’Kèlètigui Traoré est un saxophoniste ténor musclé qui cumule un large ton vocalisé vibrato avec un style attrayant lyrique improvisé. Kèlètigui maîtrise parfaitement la flûte cubaine, et a été le premier chef d’orchestre à utiliser le clavier dans la musique guinéenne en combinaison avec le balafon. Quel que soit l’instrument utilisé pour une chanson, les arrangements de Kèlètigui étaient frais et imaginatifs, mêlant instruments traditionnels, les rythmes et chansons avec le jazz et les musiques cubaine dans une parfaite harmonie musicale’’.

La juxtaposition d’instruments souligne le solide ancrage de l’orchestre dans le concept d’authenticité. Dans le but de réhabiliter la musique guinéenne, ils fusionnent chansons traditionnelles locales et musique cubaine et jazz (des styles qui ne sont pas considérés comme occidentaux ou étrangers puisqu’à l’époque ils sont joués par des musiciens noirs, descendants africains). Les enregistrements Syliphone de l’orchestre leur vaut une renommée internationale et en 1971 on leur remet le prestigieux Grand Prix du Disque de l’Académie Charles-Cros pour leur 33 tours avec Kouyaté Sory Kandia. Seul Kèlètigui réussit à marier avec autant de mæstria les épopées des griots chantées par Kouyaté Sory Kandia et ses envolées vocales dans une formation d’orchestre. La tâche lui est toutefois rendue un peu moins ardue par la stature des musiciens du groupe.

Momo « Wendel » Soumah au saxophone, par exemple, est un atout de poids à lui seul, ses solos rappelant ceux des grands du jazz tels que John Coltrane et Cornette Coleman. Les cuivres de l’orchestre, qui vont jusqu’à compter sept musiciens, un record en Guinée, sont les meilleurs du pays. Et on ne peut oublier Linke Condé à la guitare solo, l’un des meilleurs solistes avec Sékou « Diamond Fingers » Diabaté et son cousin Sékou « Le Docteur » Diabaté. Kèlètigui et ses Tambourinis sont les ambassadeurs de la musique guinéenne et une référence pour presque toute une génération. Ils parcourent le monde, ce qui, dans les années 1970, veut dire Berlin, Cuba, Moscou et bien d’autres destinations en Afrique.

 

Source : guineeconakry