Qui est-il ? Mohamed Diawara, lauréat de la 2ème promotion du Projet « Rajeunir et Féminiser l’Administration Publique Guinéenne » est de la 44ème promotion (2008) de la faculté des Sciences Juridiques et politiques de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia-Conakry.

Après y avoir terminé ses études de Droit public (Maîtrise), et suivi un stage pratique très instructif au Ministère des Affaires Etrangères et des Guinéens de L’Etranger en 2008, il s’est rendu à Accra en 2009 pour poursuivre une série de formations notamment en Langue anglaise et Project management.

A la suite de ces formations diversifiées, l’intéressé après avoir acquis un diplôme de maîtrise en Anglais et un certificat en Project Management à Accra, a complété son cursus par d’autres formations cumulées, ce qui lui a également permis d’obtenir le Brevet de Magistrat (Centre de Formation et de Documentation Judiciaires de la République de Guinée), le Diplôme D’études en Langue Française DELF B2 (Centre  International  D’études Pédagogiques de Sèvres) et d’être certifié en Management des Administrations (Sciences Po Bordeaux) en 2014.

Mohamed DIAWARA, Magistrat de la troisième promotion et bilingue (Français-Anglais) est Juge d’instruction  à la Justice de Paix de Kérouané.

Pourquoi la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ?

La Cour Africaine ayant son siège permanent à Arusha(Tanzanie) a été créée pour compléter et renforcer la mission de protection de la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples (Article 3 du Protocole de la Charte portant création de la Cour).

Contrairement à la Commission africaine qui donne des recommandations, la Cour africaine rend des décisions exécutoires.

Combien de pays ont ratifié le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples ?

À ce jour, trente (30) Pays seulement sur 54 ont ratifié le Protocole créant la Cour. Il s’agit de l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, les Comores, le Congo, le Gabon, la Gambie, le Ghana, le Kenya, la Libye, le Lesotho, le Malawi, le Mali, la Mauritanie, Maurice, le Mozambique, le Nigeria, le Niger, l’Ouganda, le Rwanda,  la République arabe sahraouie démocratique, le Sénégal, la Tanzanie, le Tchad, le Togo et la Tunisie.

Et pourquoi pas la Guinée ?

La Guinée a signé le protocole créant la Cour  le 08 juillet 2003 mais ne l’a  pas encore ratifié.

Qu’attendons-nous de ratifier ce protocole ?

Il y a de quoi à se demander, écoutez, ratifier un traité dépend de la volonté d’un  Etat.

Je précise cependant que le département technique qui a négocié et signé l’accord,  joue un rôle important  en la matière car, c’est à lui d’expliquer  au Gouvernement les avantages liés à la ratification d’un  accord. Aussi, c’est à lui de saisir le Ministère des Affaires Etrangères afin que celle-ci engage la procédure de ratification; cela laisse sous-entendre que la gestion d’un département ministériel ne se limite pas à l’interne, elle va bien au de-là.

Vous venez de dire que la Guinée a signé le protocole créant  la Cour Africaine le 08 juillet 2003 mais ne l’a  pas encore ratifié, puisque cela perdure sur quel département faudra-t-il compter pour finaliser ce travail ?

 Il faut incontestablement une synergie d’actions mais puisqu’il s’agit d’une question de Juridiction et/ou de Droit, c’est au Ministère d’Etat chargé de la Justice, en tant que département technique en la matière de relancer cette démarche.

A part ce Ministère, chacun doit s’y mettre car le succès de la Cour africaine dépendra de notre capacité à tous à la saisir.

Cependant, nous devons agir ensemble afin que la pleine compétence sur les différends en matière de droit de l’homme, lui soit donnée.

C’est à ce prix et à ce prix seulement que nos aspirations communes à renforcer la culture des droits de l’homme, la culture de la démocratie et celle judiciaire deviendront une réalité.

L’acte établissant la Cour africaine prévoit qu’une fois qu’un État a ratifié le Protocole, il doit aussi faire une déclaration spéciale permettant aux individus et Organisations Non Gouvernementales(ONG) de saisir directement la Cour. De nos jours combien de pays ont fait une telle déclaration ?

Sept (7) pays seulement ont fait une déclaration spéciale acceptant la compétence de la Cour africaine pour permettre aux individus et aux ONG de la saisir directement, ce sont : le Burkina Faso, le Ghana, le Malawi, le Mali, la Côte d’Ivoire, la Tanzanie et tout récemment le Benin. C’est ce qui fait que l’accès à la Cour  par les individus et les ONG reste très limité.

C’est paradoxal non ?

Oui ! Justement, cette situation plonge notre continent dans un véritable paradoxe où les Etats membres de l’Union africaine ont créé de leur propre gré une Cour des droits de l’homme, mais ont en même temps verrouillé presque tout accès de cette instance aux individus, alors que par définition, les droits de l’homme sont les droits des individus.

N’allons pas plus loin, cet état de fait est dû à un manque de volonté politique très poussé de la part de nos Gouvernements.

Pour quel intérêt la Guinée renoncerait-elle à une partie de sa souveraineté en procédant à la ratification du protocole et au dépôt de la déclaration permettant ainsi à la Cour de la juger ?

Tout Guinéen doit à tout moment disposer de voies de recours, et particulièrement lorsqu’il est question de ses droits fondamentaux. Il doit être constamment rassuré que l’horizon n’est pas complètement bouché. Qu’il peut aller au-delà. Par conséquent, il est bon d’avoir une Cour à l’échelle continentale.

Alors si nous aspirons à une société où il fait bon vivre, à une société paisible et progressiste, nous devons au préalable y implanter toutes ces notions et en réalité, loin de renoncer à notre souveraineté, nous contribuons plutôt à la renforcer davantage.

En quoi la Cour Africaine se distingue-t-elle des autres juridictions?

La Cour africaine est une juridiction autonome de caractère permanent, alors que le tribunal spécial pour le Rwanda siégeant en Tanzanie à Arusha et compétent pour juger les coupables des crimes de génocide au Rwanda, de même que d’autres tribunaux du même type, créés pour connaître de situations particulières, ne disposent que d’un mandat et d’une compétence limités.

La Cour a-t-elle vocation à remplacer les tribunaux nationaux ?

 La Cour africaine a été créée pour compléter le mandat de protection de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

La Cour  ne peut exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou la compétence pour juger et lorsque toutes les voies de recours internes sont épuisées.Cela nous rassure déjà qu’elle n’a pas pour vocation de remplacer les tribunaux nationaux.

Que pouvons-nous dire de la compétence de la Cour ?

La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés.

En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide (article 3).

Qu’en est-elle de sa saisine ?

Ont qualité pour saisir la Cour la Commission, l’Etat partie qui a saisi la Commission, l’Etat partie contre lequel une plainte a été introduite, l’Etat partie dont le ressortissant est victime d’une violation des droits de l’Homme et les organisations inter-gouvernementales africaines.

Lorsqu’un Etat partie estime avoir un intérêt dans une affaire, il peut adresser à la Cour une requête aux fins d’intervention.

La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non-gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire des requêtes directement devant elle conformément à l’article 34(6) du Protocole.

La compétence de la Cour est-elle limitée ?

Le Protocole étant ouvert à la signature, à la ratification ou à l’adhésion des Etats parties à la Charte, est entré  en vigueur en 2004, trente (30) jours après que quinze (15) pays ont ratifié le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Il prend effet à l’égard de chacun des Etats parties qui le ratifient ou y adhèrent ultérieurement à la date du dépôt de l’instrument de ratification ou d’adhésion.

Aussi, les affaires portées directement devant la Cour par les individus et les ONG ne sont recevables que lorsque l’Etat contre lequel la plainte est introduite a fait une déclaration aux termes de l’article 34(6) du Protocole créant la Cour acceptant la compétence de la Cour pour recevoir de telles plaintes.

Quelles sont les faiblesses de la Cour Africaine ?

Il faut souligner l’absence d’une « police régionale », l’article 29 (2) du même Protocole confie au Conseil des ministres de l’Union Africaine, organe politique qui est, au terme de l’article 13 (2) de l’Acte Constitutif de l’Union Africaine, responsable devant la conférence, chargé du suivi de l’exécution des arrêts de la Cour. C’est en cela que la compétence de la Cour est très limitée.

Admettons que les faiblesses de la Cour africaine articulent la difficulté pour l’Union Africaine de construire une véritable justice pénale à l’échelle du continent africain.

La Cour Africaine n’est d’ailleurs pas entrée en vigueur dès sa création (le 9 juin 1998), mais six (6)  ans plus tard (le 25 janvier 2004).

Pour qu’il ait une véritable et incontestable Cour Africaine quelle solution envisagez-vous ?

Je commence par dire que la communauté internationale en faveur de la promotion et la protection des droits de l’Homme ne cesse de rappeler les Etats africains que le respect des droits de l’homme a une valeur universelle.

C’est pourquoi je dirai sans abus de langage que si la Cour Africaine souhaite perdurer et gagner en crédibilité, l’adhésion « incontestable » de tous les Etats du continent africain reste et demeure incontournable.

Plus les Pays ratifieront le Protocole et déposeront la Déclaration et plus l’Etat de droit dans ces pays sera garanti et la liberté d’expression protégée.

Il est paradoxal et inconcevable que la majorité des pays africains acceptent la compétence de la Cour Pénale Internationale (CPI) et refuse celle de leur propre Cour. C’est pourquoi nous devons agir de telle sorte que tous les Etats de l’Union Africaine puissent ratifier le protocole créant la Cour mieux, faire une déclaration spéciale en faveur des individus et des ONG.

Il serait donc opportun et crucial pour les Pays qui n’ont pas encore ratifié le Protocole tel que le nôtre d’accélérer les pas vers le dépôt de tous les instruments requis pour sauver un continent en manque d’une véritable et incontestable Cour.

J’avoue  que la meilleure façon de découvrir la Cour Africaine autrement en vue de  rapprocher les pays de l’Union Africaine du monde de la Cour et du Droit, pour qu’elle soit plus vue, mieux connue et mieux reconnue, chaque Partie au Protocole voire chaque citoyen, doit mieux comprendre le fonctionnement, l’organisation et les attributions de la Cour.

Beaucoup de citoyens ont entendu parler de la Cour Africaine, ils savent qu’elle a son siège permanent à Arusha mais ils ne savent pas comment elle fonctionne encore moins comment elle mène ses activités.

Donc, après la procédure de ratification, chaque citoyen relevant de l’Etat partie au protocole doit impérativement connaître le fonctionnement, l’organisation et les attributions  de la Cour africaine d’où la nécessité de vulgariser les textes de la Cour.

Ce sont là les ingrédients qui permettront à la Cour en fait de s’acquitter de sa mission de la manière la plus efficace possible.

Comment un citoyen ordinaire peut-il introduire une requête et obtenir justice devant la Cour pour violation des droits de l’homme ?Existe-t-elle une voie spécifique par laquelle tout requérant soumet sa requête ? 

Vous pouvez faxer votre requête si vous avez accès à un télécopieur, l’envoyer par courrier électronique si vous avez accès à internet, l’expédier par la poste si vous ne pouvez utiliser que les services postaux, ou encore l’apporter si vous souhaitez la remettre en mains propres.

La procédure est donc assez simple, quel que soit le canal utilisé une fois que la requête est reçue par la Cour, elle est acceptable. Le formulaire de requête peut être obtenu à partir du site web de la Cour, si vous avez accès à l’internet. Dans le cas contraire, même  si vous n’avez pas utilisé le formulaire, cela ne signifie pas que votre requête ne sera pas reçue par la Cour. Ce qui revient à dire que vous pouvez juste rédiger une lettre.

La Cour accepte des requêtes rédigées dans n’importe quelle langue africaine. Il s’agit d’un véritable défi pour le continent doté de la plus grande diversité linguistique avec plus de 1500 langues parlées. Pour des raisons pratiques la Cour fonctionne avec quatre (4) langues officielles de l’Union africaine à savoir le Français, l’Anglais, l’Arabe et le Portugais.

Sur quel critère on se base pour déterminer si une affaire est recevable ou non par la Cour ?

La requête doit être signée.

Le requérant doit indiquer si toutes les voies de recours internes ont été épuisées. Le requérant doit en outre énumérer les éléments de preuve qu’il a l’intention de produire devant la Cour, afin d’étayer ses allégations. C’est au greffier de constater le respect de toutes ces exigences.

Pour terminer, il a été décidé à Cham El Cheikh en Egypte, d’étendre la compétence de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme pour juger les crimes internationaux tels que le génocide, les crimes de guerre et crimes contre l’humanité que pensez-vous de ce projet d’’extension ? Sera-t-il réalisé dans un futur proche ? Y-a-t-elle une grande lueur d’espoir pour atteindre le résultat escompté ?

Pratiquement, convaincre les Etats parties à procéder aux ratifications nécessaires à l’extension de la Cour africaine, est dévolu à la commission de l’Union africaine elle-même. Dans cette dynamique, elle sera sans nul doute soutenue par certains Etats africains qui se sentent particulièrement concernés et qui pensent qu’il faut à tout prix éviter la Cour pénale internationale de la Haye et que les présumés criminels devraient plutôt être jugés dans le contexte du continent africain. Je pense que c’est bien ceux-là qui sont mieux placés pour convaincre les autres Etats de procéder aux ratifications nécessaires afin de rendre pleinement opérationnelle cette juridiction. Bien que cette tâche soit ardue, adepte d’une véritable et incontestable Cour, je crois en un avenir meilleur pour toute l’Afrique.

Tout en fondant notre espoir sur une large information en vue de sensibiliser les Etats, ONG et citoyens, rappelons à présent l’idée de Sharon Weill ,Chercheuse à l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève, chargée de cours à l’université de Tel-Aviv et à Paris-II «La juridiction de la Cour internationale pour la Libye a été établie non pas parce que le pays aurait reconnu sa compétence, mais parce que le cas lui a été déféré par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le statut de Rome, qui a mis en place la CPI, donne le pouvoir à ce dernier (Conseil de sécurité) de transmettre des cas à la Cour afin que les criminels ressortissants d’Etats ne reconnaissant pas sa compétence ne restent pas impunis ». Cette approche peut être une véritable source d’inspiration pour la commission de l’Union africaine.

Votre dernier mot?

Tout en remerciant infiniment les juges de la Cour africaine, y compris le greffier évidemment sans lesquels je ne saurai émettre des idées claires sur les activités de la Cour, j’avoue qu’on ne peut parler d’une véritable et incontestable Cour des droits de l’homme sans l’adhésion de tous les Etats de l’Union Africaine.

Nous devons savoir que la dynamisation et la réforme de la cour africaine constituent une garantie non seulement pour les peuples africains mais aussi pour nos dirigeants.

L’Afrique a besoin d’une véritable et incontestable Cour des droits de l’homme sans une telle institution, notre sort serait davantage compromis.

Je pense que les pays africains gagneraient à se servir de la Cour comme mécanisme pour la protection des droits de l’homme et des peuples, contribuant ainsi à assurer la stabilité et le développement économique du continent, à lutter contre la pauvreté et l’analphabétisme.

Notre Cour (la Cour Africaine) est une Juridiction créée en Afrique, par l’Afrique et en faveur de l’Afrique.

Pourquoi une femme refuserait-elle un enfant qu’elle a mis au monde ?

Je vous remercie M. DIAWARA!

C’est à moi de vous remercier.