« Cette insuffisance de précision dans nos textes a fait profiter aux Chinois et d’autres nationalités d’être dans ce secteur névralgique et stratégique. »

 

Notre pays vient de sortir de la liste noire de L’Union Européenne comme pays non coopérant. L’acteur principal de cet exploit s’appelle bien André Loua, ministre des Pêches, de l’Aquaculture et de l’Economie Maritime, nommé à peine un an à la tête de cet important Département. Son secret, mais aussi ses difficultés ?

Nous avons pris langue avec lui, la semaine dernière… Exclusivité !

Guineelive.com : Monsieur le ministre, vous avez hérité des Pêches, un secteur qui connaît à chaque fois des soubresauts. C’est dire que vous avez dû batailler fort avant que notre pays sorte définitivement de la liste noire de l’UE comme pays non coopérant. Pouvez-vous revenir sur quelques reformes engagées par vous au lendemain de votre prise de fonction et qui ont abouti à ce résultat ?

André Loua : Je vous remercie. Avant de parler des reformes opérées, il faudrait parler d’abord de ce qui nous a amenés là. Parce que la morale de l’histoire se situe dans cette situation.

Qu’est-ce qui nous a amenés sur cette liste ? L’Union Européenne a reproché à notre pays le fait que nos eaux n’étaient pas bien surveillées. Autrement dit, n’importe qui pouvait accéder à nos ressources sans y être autorisé et sans être inquiété. Ce qui n’était pas une bonne chose. L’Union Européenne nous aussi dit que nos poissons étaient surexploités. Pour rappel, on alignait par trimestre entre 100, 150 et 200 navires. Si  on sait que nous n’avons que 350 km de littoral, peu importe la richesse et l’abondance des ressources dans nos eaux, avec une telle capacité d’exploitation, forcement on avait un comportement qui dégradait les ressources.

Troisième chose, l’UE a reproché le fait que nos ressources n’étaient pas sanitairement bien pour la consommation. Cela veut dire qu’on récoltait nos poissons dans des conditions insalubres. Ce qui ne permettait pas de venir acheter le poisson pour le marché européen. Voilà beaucoup de problèmes qu’on a reprochés à notre pays qui a fait que l’Union Européenne s’est dite qu’elle ne devait pas collaborer avec nous pour toutes ces raisons que je viens de ramasser d’une manière générale. Donc, pour qu’on sorte de cette liste-là, j’ai fait venir l’Union Européenne, pour qu’on fasse l’ensemble des griefs qui étaient formulés contre la Guinée. Entre autres, ce que je viens de vous dire. Nous avons donc renforcé notre capacité de surveillance dans nos eaux, nous avons essayé de réduire le nombre de navires dans nos  eaux, parce que de 200 on est passé à 45. C’est drastique comme changement. Nous avons essayé de demander de l’aide pour  construire un laboratoire pouvant au moins traiter l’aspect sanitaire de nos produits halieutiques. Nous avons aussi procédé à des changements institutionnels, à savoir avoir des structures légères mais qui facilitent l’administration et la gouvernance du secteur. Voilà donc un certain nombre de dispositions que nous avons mises en place et qui ont rassuré nos partenaires comme quoi, la tendance prise par la nouvelle gouvernance est de bonne augure et qu’elle mérite d’être soutenue et elle nous a fait confiance. D’où son intérêt de retirer le nom de la Guinée sur la liste des pays non coopérants de l’Union Européenne.

Merci Monsieur le Ministre, toutes ces reformes dont vous parlez, est-ce que c’est en conformité avec les états généraux du secteur ?

Ces états généraux datent de 2013. Oui ! C’est en pleine conformité avec les états généraux, parce qu’ils avaient demandé effectivement de renforcer les capacités de champ de surveillance des pêches, de doter le Centre National des Sciences Halieutiques de moyens pour pouvoir permettre de déterminer avec plus de précisions le stock et les espèces de poisson dans nos eaux, les états généraux avaient aussi recommandé de prendre des mesures pour que les navires et les armateurs qui sont en infraction soient contraints à payer leurs amendes. Aussi de faire un changement institutionnel, c’est-à-dire en plus de la Pêche et de l’Aquaculture, mais aussi d’ajouter  l’aspect Economie Maritime. Donc, tout ce que nous avons fait ici en termes de changements et de reformes cadre bel et bien avec les recommandations des états généraux de 2013.

Justement, en parlant de l’Economie Maritime, en l’ ajoutant à vos attributions, cela n’a-t-il pas compliqué davantage votre tâche ?

Au contraire, ça devient une facilité parce que ça devrait apporter davantage d’impacts sur le plan économique et financier pour le ministère. D’une manière générale l’Economie Maritime c’est quoi ? C’est toutes les activités liées à l’exploitation des ressources de la mer. Que ce soit en termes de transport maritime, que ce soit en termes de pêche, que ce soit en termes de recherche oxford (gaz, pétrole etc.). Donc, tous ces éléments devraient faire partie de l’Economie Maritime. Dans les autres pays, lorsqu’on parle de l’Economie Maritime, c’est tous ces aspects. Chez nous, l’Economie Maritime a été cadrée uniquement pour l’aspect pêche. On parle de l’activité des navires de pêche, de l’exploitation des domaines maritimes dédiée à la pêche (les ports, les débarcadères etc.). Voilà les parties qui retournent aux activités de la Pêche et que nous essayons de valoriser.

Monsieur le Ministre, quelles sont les conditions à remplir pour que la Pêche soit un moteur de croissance en République de Guinée ?

Enormément de choses à faire. Il faut qu’on accepte d’y investir. Un seul exemple. Si nous acceptons d’investir dans la recherche, cela veut dire que nous allons déterminer avec précision les espèces de poissons que nous avons dans nos eaux et quel est le stock. Et lorsqu’on a une idée précise de cette quantité, nous pouvons programmer une exploitation responsable et rationnelle de ces ressources. Premier aspect. Si on investit par exemple dans la surveillance, ça veut dire qu’on va lutter contre la piraterie. Ça veut dire que n’importe qui ne viendra plus pêcher n’importe comment dans nos eaux. On va les protéger, on va pouvoir les exploiter de façon durable. D’où l’intérêt pour nous d’avoir nos vedettes de surveillance pour aller traquer tous ceux qui ont des mauvaises intentions d’avoir accès à nos ressources. Si nous demandons par exemple d’investir dans la construction d’un laboratoire, c’est pour certifier la conformité de nos produits pour être exportés sur les marchés européens. Mais si on n’a pas de laboratoire pour certifier la bonne qualité de nos produits propres à la consommation, parce que c’est un problème de santé publique si on ne peut démontrer que nos produits sont propres et répondent aux normes européennes, on ne pourra pas les exporter. Donc on ne pourra pas aller chercher des revenus supplémentaires. On va être obligé d’exporter nos produits via la Côte D’ivoire ou le Sénégal comme ça se fait maintenant et ce sont à ces pays que reviendront les retombées économiques. Donc, il faut qu’on investisse dans le secteur, qu’on ait un port de débarquement, qu’on n’en a  pas aujourd’hui. En Mauritanie ils ont deux ports industriels de pêche. Ils sont sur un troisième. Au Sénégal, c’est la même chose. Mais chez nous, non !  Acceptons d’investir si nous voulons des retombées économiques meilleures pour notre pays.

A un moment donné, la rumeur avait couru comme quoi il y a un conflit de compétence entre votre département et celui des Transports dans la gestion de certains dossiers. De quoi s’agit-il réellement ?

Il y a un peu de confusion entre ces deux ministères en termes d’activités. Si nous prenons par exemple le vocable qu’on a évoqué dans toute  l’Economie Maritime, on a dit que ce sont toutes les activités liées à la mer, mais qui concerne la pêche. Or, qui parle d’activités de la mer parle des navires de pêche. Donc de leur immatriculation et autres. Parce qu’il faudrait qu’on ait leur capacité. Les licences qu’on vend sont en fonction de la capacité de prises des navires. Mais ce n’est pas nous qui le faisons. C’est déterminé au ministère des Transports  qui peut ne pas être au même diapason que nous. Et aussi la gestion des domaines maritimes. Ce qui n’est pas tout à fait normal. Mais nous sommes en train de tirer tout ça au clair pour permettre au ministère de pouvoir jouer son rôle. Et je pense que lorsqu’on va planifier les rôles, les deux ministères vont être à mesure de s’acquitter de leurs missions régaliennes.

C’est une évidence que vous  avez d’énormes difficultés sur le terrain. Malgré tout, vous auriez pu mobiliser en trois mois des fonds que vos prédécesseurs ont mis des années à le faire. Votre secret ?

Il n’y a pas de secret. Pas du tout. Tout ce que nous avons fait, c’est de privilégier l’intérêt national. L’intérêt public, j’allais dire. Je n’ai pas voulu négocier avec aucune société et tout ce que ces sociétés devraient payer à l’Etat, elles l’ont payé. Nous avons appliqué la loi dans toute sa rigueur. Tu devrais  1F à l’Etat tu t’en acquittes, sinon pas d’autorisation de pêche. Voilà tout ce qu’on a mis en place avec l’accompagnement du chef de l’Etat pour maximiser les ressources de l’Etat. Parce qu’avant, on laissait les gens faire n’importe quoi. Ils n’avaient pas de contrainte. Même ils partaient commettre des crimes dans nos eaux sans être obligés de payer des amendes. Ça les encourageait. Aujourd’hui, si tu restes redevable en termes d’amende, tu ne seras pas dans nos eaux et si tu commets des infractions nous appliquons la dernière rigueur dans l’application de ces recommandations. Voilà ce qui nous a amenés aux résultats dont vous parlez.

Il va sans dire que tous ceux qui sont directement ou indirectement touchés par vos reformes vous prennent pour ennemi, par conséquent font tout pour vous mettre le bâton dans vos roues ?

Mais c’est ce que vous avez constaté (rires). Vous savez, les gens n’attendent pas qu’on change les choses. Notre pays a pris des plis tellement compliqués qu’on ne peut pas les redresser par un simple coup de fer. Même s’il est au rouge. Ce n’est pas possible. Ça demande de la persévérance et surtout qu’on soit patriote. Les reformes qui sont faites c’est dans l’intérêt général, pour que nous puissions tirer collectivement des avantages du secteur de la Pêche. Moi, je suis là pour une mission et la mission m’a été confiée par le Premier Ministre, par le Président de la République. Je n’ai pas d’état d’âme, je vais appliquer la réglementation dans le domaine et je vais m’acquitter de ma mission. Peu importe ce que les gens vont penser. Je le ferai dans tout le respect et vraiment en tenant compte de tout ce qui est de ma mission.

Revenons un peu sur les conclusions des états généraux de votre secteur. Il y a quand même des points qui n’ont pas été appliqués. Et pourquoi ?

Effectivement, il y a certains points qui n’ont pas été appliqués. Si nous prenons par exemple la revalorisation des mareyeuses. Vous avez suivi tout dernièrement le mouvement des mareyeuses, parce que n’importe qui s’évertue à être mareyeuse sans tenir compte des règles. Il y a des conditions qu’il faut appliquer, qu’il faut remplir. Malheureusement, dans ce pays on n’a pas appris l’habitude de faire les choses comme cela se doit. Il y a aussi les changements des cadres. Ma nouvelle structure n’est pas signée de sorte que je ne peux pas redéployer le personnel. La nouvelle structure ministérielle n’a pas été jusqu’à présent mise en place parce que le décret de restructuration n’est pas encore signé. Ce sont des raisons qui sont indépendantes de ma volonté.

Pouvez-vous nous parler de l’introduction des Chinois dans la vente du poisson et aujourd’hui, les responsabilités sont-elles situées ?

En fait, ce qui s’est passé n’est ni de la responsabilité du ministre ni des services du ministère. Les Chinois ont profité d’un peu de laxisme dans notre législation. Les RCCM qui sont délivrés par le ministère de la Justice n’ont pas précisé les secteurs d’intervention des acteurs économiques. S’il avait été indiqué qu’aucun étranger ne pouvait être dans le domaine de la pêche, les Chinois ne seraient pas là. Mais cette insuffisance de précision dans nos textes a fait profiter aux Chinois et d’autres nationalités d’être dans ce secteur névralgique et stratégique.

Quelles sont les dispositions que vous avez prises pour remédier à cela ?

C’est de dire que notre secteur de la Pêche ne doit être destiné qu’aux nationaux. Et j’ai reçu la lettre des Chinois aujourd’hui 5 décembre 2016, qui me dit qu’ils me donnent l’ensemble des conteneurs qu’ils ont ouverts pour que je les remette aux femmes. Donc, la question est réglée.

Nous pensons que ces femmes se sont calmées ?

Oui. Elles se sont calmées (rires). En fait, le but de la manifestation n’était pas juste contre les Chinois, mais c’est de la manipulation pour pousser le Président à enlever le Ministre qui fait des reformes ici.

On vous cite : « Dans deux ans la Guinée ne comptera plus sur les Mines, mais plutôt sur la Pêche ». A ce jour, pouvons-nous dire que Monsieur le ministre tient toujours sa promesse et comment atteindre un tel objectif ?

Ecoutez !  C’est ce que j’ai défendu devant l’Assemblée Nationale. Nous sommes dans une petite économie. Le secteur de la Pêche est l’un des secteurs clés pour nous. Si nous voulons tirer le maximum de ressources comme en Côte D’Ivoire, comme au Sénégal, comme en Mauritanie, comme au Maroc. Si on investit dans la Pêche pour renforcer notre capacité de surveillance, pour créer les conditions de valorisation de nos ressources, dans la recherche scientifique, pour doter notre pays des laboratoires de certificat de produits halieutiques, pour permettre aux infrastructures à terre, que ce soient les centres frigorifiques, les centres de transformation et d’autres facteurs pouvant permettre d’allonger la chaine de valeur ce serait une bonne chose. Je le dis avec conviction que le secteur de la Pêche va dépasser le secteur des Mines. Les mines on en a, mais on ne peut pas se lever le matin, pour aller prendre la bauxite et tu as de l’argent. On est entrain d’investir dans les mines. On a investi pour construire CBG. C’est ce qui nous donne les résultats aujourd’hui. Mais tant qu’on n’investira pas dans le secteur de la Pêche, on ne peut pas s’attendre à des miracles. D’où l’intérêt pour le gouvernement de demander qu’on investisse dans ce secteur. Si nous voulons que demain cette assertion se vérifie. Qu’on y mette les moyens. C’est un investissement productif. Et je crois, c’est un secteur porteur de croissance  nécessaire si on consacre les investissements nécessaires et requis, c’est sûr dans deux ans on va parler de premier rang dans le domaine de la Pêche.

Monsieur le ministre, le Chef de l’Etat faisait remarquer que dans beaucoup de secteurs, il n’y a pas d’absorption des capitaux. Selon vous pourquoi notre taux de décaissement des fonds est très faible ?

Je ne peux pas expliquer pour les autres. Mais chez nous on a un projet pour lequel on n’est même pas financé. Nous cherchons effectivement ces fonds pour nous permettre de construire notre port industriel de pêche. Dans d’autres ministères peut-être c’est le cas. Je ne connais pas. Ici, je ne parle que de mon secteur. On a tellement de choses à faire, tellement de projets murs, mais nous n’avons pas de financement.

Devant les députés le weekend dernier qu’est-ce que vous avez défendu ?

J’ai demandé aux députés de soutenir le ministère pour que le gouvernement mette des moyens à sa disposition. Les moyens de surveillance, d’analyse pour les sciences halieutiques, la construction du laboratoire et pour le développement de la pisciculture pour qu’on puisse étendre le projet de la Guinée Forestière à travers toute la Guinée pour rapprocher les paysans la possibilité d’avoir eux-mêmes la responsabilité de développer le poisson et de le consommer dans le cadre de la sécurité alimentaire.

Avez-vous un dernier message pour nos lecteurs ?

C’est de vous remercier très sincèrement et vous dire que nous comptons sur la compréhension de tout le monde. Le secteur a été abandonné Nous sommes en train de mettre de l’ordre dans la maison. Cela veut dire qu’il y aura toujours quelques petites difficultés. Mais nous demandons la compréhension de nos compatriotes pour que la bonne tendance que nous sommes en train de prendre puisse être poursuivie au lieu de se laisser manipuler et de prendre langue avec le Département pour que toute les questions  puissent être discutées et pour le bien être de la population guinéenne.

Interview réalisée par

Bamba Bakary Gamalo et

Youssouf Cissé

 

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