Dans une société comme la nôtre, il est très difficile d’être un cadre vertueux. En effet, lorsqu’un cadre guinéen a la chance d’être promu à une fonction importante en, c’est toute sa famille, tout son clan, toute sa tribu, tout son village et parfois toute sa préfecture qui compte sur lui. S’il ya un projet de construction d’une infrastructure non pris en charge par l’État, il est le premier à être mis à contribution. S’il ya une cérémonie à caractère religieux ou social , on attend qu’il intervienne financièrement. Gare à lui, s’il ne met pas la main à la poche. Sa famille perçoit cela comme une honte. Lorsqu’il fait face à toutes les sollicitations de sa communauté, il est considéré comme un enfant béni, celui dont la mère « a souffert pour son père « . Ce jugement est très important dans notre société. Mais personne ne se pose la question de savoir d’où viennent les moyens engagés dans ces projets ou activités
Et d’ailleurs, on entend même des conseils du genre  » tu as la chance d’être nommé à ce poste, tu as intérêt à faire ceci ou cela pour assurer l’avenir de tes enfants « .
C’est à partir là que commence la course effrénée vers l’enrichissement illicite. Et ce n’est pas l’auteur du détournement de deniers publics ou le cadre corrompu qui est mis à l’index mais plutôt l’inspecteur qui mettrait à nu les malversations ou le juge qui condamnerait les auteurs de ces infractions.
Lorsqu’il essaie de faire correctement son travail en ayant le souci de préserver la chose publique et qu’il perd par la suite son poste, il est l’objet de toutes les railleries. On le traite de maudit car personne ne comprend qu’il ait occupé des fonctions importantes sans avoir pu construire plusieurs villas, duplex ou triplex, envoyé tous ses enfants à l’extérieur. Généralement, les cadres honnêtes ne sont pas très aimés chez nous. Ils sont traités de « Blancs  » quand ils sont issus de la diaspora ou de vauriens. Notre société est ainsi faite. C’est plus qu’un système. C’est un phénomène sociologique. Mais ce n’est pas impossible d’y mettre fin. Il nous faut juste une volonté politique, des hommes et des femmes qui ont le courage de faire face aux critiques et de prendre des mesures impopulaires, des cadres qui n’ont pas peur d’être traités de maudits.

Encore une fois, c’est difficile mais pas impossible.
Bon courage à tous.

Me Mohamed Traoré
Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Guinée