Chroniques d’un développement espéré 1 : Au-delà de la croissance économique

La croissance économique peut être définie comme une augmentation de la richesse produite dans un pays au cours d’une année. Elle est mesurée par un indicateur, le Produit Intérieur Brut (PIB). On entend souvent parler de croissance forte, molle, à deux (02) chiffres par les économistes, les politiques, les média… Aujourd’hui encore faire de la croissance économique reste l’alpha et l’oméga de la politique économique dans nombre de pays. Les pouvoirs politiques ne jurent que par elle, interprétée comme le résultat de leurs capacités à enrichir le pays et ses populations. Conclusion, toujours produire plus pour résoudre les problèmes des populations. Et pourtant, cette relation supposée est loin d’être évidente tant les expériences dans plusieurs pays traduisent aussi l’incertitude où croissance coexiste avec pauvreté. Depuis longtemps, les interrogations sont légion sur la richesse d’une nation, sa production et sa répartition. Il est évident que croissance ne rime pas toujours avec amélioration des conditions de vie des populations, même si souvent, on a tendance à faire croire le contraire. Ce n’est pas parce qu’on fait une croissance à deux (02) chiffres que les besoins des populations sont satisfaits, et inversement.
D’ailleurs, que valent réellement des taux élevés de croissance dans des économies, très informelles, aux systèmes de statistiques et de comptabilité peu fiables, largement importatrices et peu diversifiées. L’analyse économique et politique peut aider à aller au-delà des chiffres pour comprendre les ressorts qui sous-tendent la création et la répartition de la richesse dans un pays. Il est vrai que pour bon nombre d’institutions économiques et financières, le taux de croissance demeure, un indicateur majeur pour juger de la capacité d’un gouvernement à produire des résultats. Mais au-delà du taux, la qualité de la croissance est essentielle. Or cette qualité est beaucoup plus complexe. Et travailler là-dessus, pose la question de la stratégie globale de la croissance, analyse les secteurs et acteurs, rend compte des mécanismes de distribution et de redistribution de la valeur ajoutée … Plus globalement, l’analyse de la qualité permet d’interroger les politiques publiques qui déterminent la vision, la stratégie, les cadres et mécanismes de création et de répartition de la richesse dans un pays. Par exemple, une croissance élevée produite en surconsommant les ressources naturelles, en exploitant la force de travail, en important massivement les intrants dans des contextes institutionnels et politiques défaillants ne peut être pérenne.
Ces éléments sont importants pour une analyse globale et permettent d’interroger les systèmes de production et de répartition de cette valeur ajoutée, de juger de la capacité des institutions à réguler l’économie ou de mesurer l’impact de cette croissance sur la vie des populations. Certes, il sera toujours important pour un gouvernement de se préoccuper de la quantité de richesses produites, mais l’accent devrait davantage être mis sur le contenu et les bénéfices qu’en tire l’économie et les populations de cette croissance. Qu’on ne s’y trompe pas, la croissance économique n’a pas toujours été synonyme d’amélioration du niveau de vie, encore moins du bonheur à l’échelle d’un pays. Voilà pourquoi en Guinée, il faut certes, faire de la croissance, mais attention à le faire bien. De la qualité de ces politiques publiques, la croissance sera pro-riches ou pro-pauvres, inclusive ou exclusive, égalitaire ou inégalitaire, pro-emploi ou pro-chômage. Le problème n’est finalement pas la croissance en tant que telle, mais comment on en produit, une qui est saine et propre, capable de valoriser des ressources et engendrer des externalités positives pour l’économie ; et au-delà pour la vie concrète des citoyens. C’est ce décalage dans nombre de pays qui pose souvent problème entre gouvernants et gouvernés. Les uns rappelant comme un trophée leur capacité à créer de la croissance économique, les autres mettant un accent constamment sur le faible impact de cette richesse sur leur quotidien en termes d’emplois et d’accès à différents services indispensables à leur vie au quotidien.
Finalement, la croissance économique ne devrait être une fin, mais un moyen pour permettre à un Etat de répondre aux préoccupations des populations. L’économie définie en tant que science d’administration des biens de la Cité n’est en réalité qu’au service du bien être collectif. Aujourd’hui, dans nombre de pays, le problème majeur reste que l’économie n’est plus au service du bien-être collectif avec un système de production qui par ses fondements et règles de fonctionnement laisse de côté, bien des franges importantes de la population en termes d’intégration, de protection et d’amélioration de leur niveau de vie. Cette réalité crée des questionnements, de la frustration, des mécontentements, de la marginalisation ; situations qui peuvent déboucher sur des conflits. Voilà pourquoi, il est fondamental de réfléchir encore sur les mécanismes de production et de répartition de la richesse. C’est finalement cette équation multiple qu’il faut résoudre en faisant preuve de recul et de réflexion sur les stratégies, les intérêts des acteurs impliqués dans la valorisation des ressources et en prêtant une attention particulière aux mécanismes de distribution et de redistribution de cette valeur ajoutée.
Dans la distribution, la relation entre capital et travail est essentielle pour mieux comprendre par exemple, les questions de rémunération, les capacités d’emplois et d’emplois qualifiés, la sécurité que cette création de richesse peut engendrer. Dans la redistribution, voir comment cette valeur ajoutée via les mécanismes des prélèvements obligatoires permet de contribuer à financier des infrastructures, à fournir des services dans les secteurs sociaux (logement, éducation, santé, culture, protection …) ou à renforcer les capacités des institutions publiques pour jouer efficacement leur rôle dans la production d’un bien être collectif. Cette question de la répartition est fondamentale en économie. Elle démontre par ailleurs, la capacité d’une collectivité publique à fournir des services essentiels aux populations, de protéger les plus fragiles, de promouvoir l’égalité des droits car un système économique se porte mieux lorsque la main d’œuvre est éduquée, soignée et protégée ; facteur premier de production. C’est dire que le cheminement heureux de la croissance vers le développement dépend in fine de la qualité des institutions et des politiques publiques en place. Plus globalement, et au-delà des taux, on peut aussi s’interroger sur les fondements des modèles actuels de croissance économique. Il est évident que par la science et l’expérience historique, il ne saurait y avoir un seul cadre conceptuel de création de richesse, même si la tendance reste la généralisation du libéralisme économique avec ses valeurs, atouts et limites.
Plus globalement, dans toutes les sociétés et de toujours, des expériences locales de création de richesse voient le jour. Elles font leurs preuves en matière de valorisation de ressources avec la mobilisation des citoyens qui deviennent acteurs de leur « propre développement ». Ces expériences montrent leurs capacités à maintenir un système économique bénéficiaire coexistant avec du progrès social et un équilibre écologique, avec cette capacité en plus de générer de nouvelles ressources pour faire face à diverses mutations. Ces expériences sont utiles à regarder de près par les acteurs de la vie économique (Etat, entreprises, syndicats, instituts de formation et de recherche, citoyens…) car une fois de plus, dans ce domaine et tant d’autres d’ailleurs, le drame reste le dictat de la pensée unique.
Finalement, l’enjeu pour la Guinée est de trouver un équilibre entre création de richesses pour valoriser ses ressources ; et la qualification du système de production et de répartition de cette richesse pour éviter que la croissance économique ne soit facteur d’exclusion, de pauvreté, d’instabilité sociale et politique. Et dans ce cheminement, la qualité des institutions et des politiques publiques fera la différence.

Boubacar Sidighi Diallo, économiste et consultant
Expert en décentralisation et développement local
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