Il est vrai que le président Alpha Condé reste égale à lui-même. Toutefois, la mobilisation contre le chef de l’Etat guinéen pour un troisième mandat ne faiblit pas. Après plusieurs personnalités politiques, hommes de Droit, citoyens et citoyennes, c’est autour de son ancien Ministre, Siaka Barry d’en appeler à la sagesse du président Alpha Condé. Lisez plutôt sa lettre ouverte.

LETTRE OUVERTE AU Pr ALPHA CONDÉ

AN 60 de l’indépendance : PAS DE FÊTE SANS LES « BARATIGUI » !

Monsieur le Président de la République, permettez-moi de vous rappeler un principe simple dans le Manding profond : Au Manding, on n’entreprend jamais un pas de danse dans l’arène, sans la présence et l’onction des « baratigui »… Mr le Président, les « baratigui » ce sont les « maîtres de l’arène », ceux qui, parmi plusieurs générations de valeureux hommes, ont plus de droit sur l’arène et sur la cérémonie que quiconque, ceux-là qui cèdent momentanément de leur bon gré, leurs places aux autres lors des rituels, ceux qu’on ne doit bousculer, brusquer ni omettre lors des cérémonies, brefs ceux-là qui célèbrent et qu’on célèbre !

Mr le Président, s’il est vrai qu’il ne saurait y avoir de célébration sans les célébrés, je m’inquiète (à juste raison d’ailleurs) aujourd’hui, de l’allure que vous et vos inconditionnels thuriféraires êtes en train de donner à notre fête commune : le 2 Octobre.

Il est de malheureuse notoriété, que jamais, pendant vos huit années de règne, vous n’avez un seul jour daigné publiquement ou au cours d’une cérémonie solennelle, rendre un hommage mérité à notre père de l’indépendance, le camarade Ahmed Sékou Touré ni à ses illustres compagnons. Cet état de fait, s’apparente aujourd’hui à une sournoise négation du rôle combien de fois historique, que ces dignes fils de la Guinée, ont joué dans la reconquête de notre liberté et de notre dignité perdue. Comble de l’ironie, vous vous apprêtez aujourd’hui à célébrer notre indépendance (oeuvre majeure du camarade Ahmed Sekou Touré) au stade du 28 septembre (une autre oeuvre du même Ahmed Sékou Touré) sans vouloir associer ni le nom ni l’image de notre père fondateur à cet événement ! Quelle incohérence !

Monsieur le Président, quand j’étais votre ministre, je vous ai rappelé publiquement à deux reprises que « vous devez donner un sens à votre promesse de reprendre la Guinée, là où Ahmed Sékou Touré l’a laissée, en capitalisant ses acquis et en tirant les leçons de ses échecs ». Certes mes conseils vous agaçaient, je le reconnais aujourd’hui et je m’en excuse, mais je me souviens que le 5 août 2016 vous m’avez publiquement donné raison après mon discours d’ouverture du Festival national des arts au Palais du Peuple, lorsque je vous ai interpellé sur la même question.
Pourtant depuis lors, je constate toujours avec amertume, que mes modestes conseils à votre égard, sont restés lettres mortes, tant votre indifférence et votre défiance vis à vis de nos glorieux combattants frisent aujourd’hui le reniement et la rancoeur.

Monsieur le Président, le décor planté au stade du 28 septembre, par ces nombreux démagogues qui vous entourent, pour célébrer le soixantenaire de notre indépendance, s’il n’est pas revu et amélioré, constituera une insulte à notre mémoire collective et un pied-de-nez à notre glorieuse histoire commune. Quoi donc ? Interrogez-vous en toute sincérité ! La glorieuse date du 2 octobre célèbre-t-elle notre histoire ou nos histoires ? Célèbre t-elle la PATRIE où le PARTI ? Célèbre-t-elle nos MARTYRS ou Mr Alpha Condé ? Célèbre-t-elle notre unité ou leur futilité ?

Mr le Président, quel mérite avez-vous dans la sublime histoire de notre indépendance, pour que vous monopolisiez à vous tout seul, le vaste espace qui surplombe le mythique stade du 28 septembre, sans trouver la moindre place au camarade stratège Ahmed Sekou Touré et à ses dignes compagnons ?

Demandez à ces démagogues de tous acabits qui vous entourent à Sekhoutoureya et à Navarres, de nous dire donc la place qu’ils réservent à Saïfoulaye Diallo (notre Président de l’assemblée territoriale à la proclamation de l’indépendance), à Kéita Fodeba (auteur de notre hymne national) à Framoï Bérété l’infatigable combattant de Siguiri qui fit trembler les colons, à Mbalia Camara qui se fit éventrer pour notre liberté, à Mafory Bangoura, l’héroïne de Wonkifong, à Kéita Noumandian (le père de notre armée nationale) à Achkar Marof et à Abdoulaye Ghana Diallo (les pères de notre diplomatie, à Lansana Béavogui l’homme à la fidélité légendaire…et à tous ces illustres compagnons qui donnèrent leur sueur et leur sang pour notre liberté ?

Mr le Président, puisque vous vous proclamez panafricain, n’avez-vous pas assez de place auprès de votre grandiloquente effigie, pour loger un petit portrait d’Ahmed Sékou Touré, de Kwamé Nkrumah (qui consentit le premier prêt à la Guinée pour payer nos fonctionnaires), de certains « africains engagés » qui ont accouru au chevet de la Guinée aux heures sombres de l’indépendance ? Pas de place donc pour Louis Behanzin du Bénin (qui vint soutenir notre système éducatif abandonné par la France), pour l’écrivain sénégalais David Diop qui ira jusqu’à enseigner dans nos classes rurales à Kindia ? pour Stockely Carmichael qui abandonnera son Amérique natale par amour pour notre chère Guinée…?

M. le Président, à deux ans de la fin de votre dernier mandat, ressaisissez-vous pendant qu’il est temps, sachez garder votre lucidité parmi cette armée de démagogues, de courtisans et de prébendiers, et retenez encore ce petit conseil que je vous ai laissé dans mon discours de passation : » Il est plus facile de rentrer à Sékhoutoureya que de rentrer dans l’Histoire… » ! À bon entendeur salut ! Force et honneur à vous héros et martyrs de notre marche historique, reposez en paix, notre nouvelle génération ne vous oubliera certainement pas !

Siaka Barry, ancien ministre des sports, de la Culture et du patrimoine historique