QUE NOUS RACONTE CE SPECTACLE?

« Dans la solitude des champs de coton » relève du combat du désir, cet obscur objet de lutte d’identité, de secret et de solitude partagée.
Pour Bernard Marie KOLTES, « ce texte est semblable à deux monologues qui se coupent », et on pourrait poursuivre cette logique d’identification à deux solitudes qui se croisent.

« Le sujet n’est pas celui qui pense mais celui qui désire » nous indique le psychanalyste LACAN. Dans cette pièce, pour les deux personnages (le client et le dealer) l’objet du deal, ce désir exhorté, attendu, inavoué reste informulé au final et devient le sujet principal de la pièce. Entre séduction et humiliation, le désir est l’objet de cette confrontation de deux êtres qui s’affrontent dans un flot intarissable de paroles, dans un combat singulier avec pour seules armes le langage et la rhétorique. Client et dealer, l’un est indispensable à l’autre, tous deux sont traversés par le désir de l’autre. En cherchant le désir pour le désir, les deux personnages se nient eux-mêmes, nient le monde extérieur. A ce jeu, ils nous entraînent vers cette rencontre loupée, vers nos propres dérèglements de l’incommunicabilité des êtres.

Comment parler du désir à notre époque où la plupart des êtres sont dans l’avoir, dans la possession.

L’hostilité radicale entre les deux protagonistes n’est qu’un conflit interne entre deux entités inconciliables de croyances et de comportement. C’est une représentation de la folie latente de notre milieu social, où les individus sont tiraillés entre d’une part toutes les règles de coopération sociale, et d’autre part les injonctions d’une idéologie capitaliste. Le désir – et la conclusion du deal – ne peut se réaliser car chacun campe sur ses positions.
Dans cette quête du désir inexprimable, les personnages sont interchangeables ; dès lors cette pièce est donc universelle, elle nous interpelle tous.

Nous vivons dans une époque où ce qui reste c’est la transaction elle-même, alors qu’on ne sait plus très bien ce qu’on pourrait échanger, puisque tout est déjà échangé. Nous ne provoquons en nous que manques et désillusions, enfermés dans nos insatisfactions, dans nos incapacités à rencontrer l’autre, à retrouver le sens des rapports humains.

« Il n’y a pas d’amour, il n’y a pas d’amour » dit l’un des personnages.
Tout s’achète, tout s’échange, même les sentiments. Dans la pièce, cette approche commerciale d’envisager les rapports humains exclut toute sentimentalité, mais aussi toute réalisation de l’amour. Il n’y a plus d’idéal, seulement du deal.

Cette proposition de lecture, inquiétante et sombre, de l’état de nos sentiments nous interroge sur notre aptitude à nous retrouver homme parmi les hommes et notre volonté à davantage reconnaitre l’autre dans sa spécificité, à partager, à aimer.

« Dans la Solitude des champs de coton » ne contient pas de références précises au cadre d’espace et de temps. La nuit est l’unité de temps et l’espace extérieur indéterminé devient l’unité de lieu de cette parole libérée. Dans l’atmosphère trouble des rues désertées par la légalité installée par la prose poétique de KOLTES, la pièce nous parle bien pourtant de notre monde, un monde qui se veut aseptiser, normé, non idéologique, fonctionnel, mondialisé, où les relations humaines ne sont fondées que sur l’échange et le donnant-donnant. En nous donnant à voir cette extrême humanité, il nous invite à nous interroger sur le monde que nous voulons construire.

 

Nimitè Théâtre de Guinée

Organisation non gouvernementale (ONG)

 

 

 

 

QUI EST BERNARD MARIE KOLTES, L’AUTEUR DE  »LA SOLITUDE DANS LES CHAMPS DE COTON » QUE LA COMPAGNIE NIMITE THEATRE DE GUINEE PRESENTE AUX JOURNEES THEATRALES DE CARTHAGE?
Bernard-Marie Koltès naît dans une famille bourgeoise de Metz. Troisième et dernier fils d’un militaire de carrière, il voit très peu son père durant son enfance. Supportant mal l’éloignement de sa famille, il vit difficilement sa scolarité au collège Saint-Clément de Metz, où il est pensionnaire. Il y reçoit un enseignement jésuite fondé sur « l’apport de la rhétorique, la volonté de considérer le dialogue comme une vraie argumentation, [et] le désir de faire apparaître un sens caché », qui influencera son théâtre.
Il effectue son premier voyage au Canada à 18 ans, voyage qui le marque profondément. Il s’initie à la musique de Bach avec l’organiste Louis Thiry.

Alors que rien ne le destinait au théâtre, il assiste, à l’âge de vingt ans, à une représentation de Médée interprétée par Maria Casarès à la Comédie de l’Est (mise en scène de George Lavelli). C’est un coup de foudre. Désirant devenir acteur, il tente le concours d’entrée du Théâtre national de Strasbourg (TNS) pour les sections jeu et régie, mais est refusé. Cela ne l’empêche pas de travailler sur une adaptation théâtrale d’Enfance, de Gorki, qui devient sa « première pièce », intitulée Les Amertumes. Il l’envoie à Hubert Gignoux, alors directeur du TNS qui, impressionné par son talent, lui propose d’intégrer l’école ; il y entre en section régie. Cependant il y reste très peu de temps préférant monter sa propre compagnie en tant qu’auteur et metteur en scène, le « Théâtre du Quai ».

En 1970, Koltès écrit L’Héritage que Maria Casarès lit pour la radio. Ses premières pièces, expérimentales, ne connaissent pas le succès et il les reniera lorsqu’il évoluera vers un style plus narratif à la fin des années 1970, notamment à partir de Combat de nègre et de chiens.

Entre un passage au Parti communiste français (1975-1978), de nombreux voyages en Amérique latine, en Afrique et à New York, sources importantes d’inspiration pour lui, il crée de nombreuses pièces, comme le long monologue écrit pour Yves Ferry, La Nuit juste avant les forêts, qu’il monte en off au festival d’Avignon en 1977.
Son théâtre, en rupture avec celui de la génération précédente, met en scène la perpétuelle et vaine tentative de communication entre les hommes.
Le dramaturge, passionné par Shakespeare, Marivaux, Tchekhov, est également un fervent lecteur de Dostoïevski[4] et des Pensées de Pascal. Déjà, avec Les Amertumes, son travail était qualifié de « formaliste ». Koltès expliquait la « raison profonde de [s]on travail formel [par le fait que] le personnage psychologique ne [l’]intéress[ait] pas – pas plus d’ailleurs que le personnage raisonnable[6]. » Il ajoutait qu’il « redoutait presque autant Stanislavski que Brecht. » À de nombreux égards, on le considère comme l’héritier du théâtre de l’après-guerre d’Artaud.
À la fin des années 1970, Koltès rencontre Patrice Chéreau. C’est le début d’une longue collaboration entre les deux hommes.

En 1984, Jérôme Lindon, fondateur des Éditions de Minuit, publie La Fuite à cheval très loin dans la ville. Par la suite, il éditera tous les textes de Koltès.
Bernard-Marie Koltès meurt le 15 avril 1989 des suites du sida, après un dernier voyage en Amérique latine et au Portugal. Il est inhumé à Paris au cimetière de Montmartre.