Depuis plus de deux décennies, le service public de l’électricité en Guinée ne fonctionne pas de façon satisfaisante, engendrant de profondes frustrations tant au niveau de l’État, qui y injecte sans impact significatif et durable d’importantes ressources du Trésor Public, qu’à celui des populations, privées d’un service décent.
Le service public de l’électricité s’est installé dans des déficits croissants et une dégradation continue de la desserte.
Cette situation impacte négativement sur la croissance de tous les segments de l’économie nationale. Cet état de fait résulte largement de la qualité de la gouvernance, aussi bien macro que sectorielle, qui a prévalu dans le pays depuis des années. Cette gouvernance a éloigné les partenaires au développement, retardé ou bloqué les indispensables investissements, aggravant ainsi les déficiences du service électrique, dans un contexte de montée en puissance de fortes et parfois violentes demandes sociales notamment en terme d’accès au service électrique et qui, faute d’analyses sereines, ont conduit à une succession d’initiatives improvisées dites d’urgence qui n’ont nullement permis de résoudre le problème ni même de l’atténuer de façon durable.
Pour sortir de cette situation, une étude diagnostique du secteur de l’électricité assortie d’un plan de redressement, confiée au consultant NODALIS a été achevée en octobre 2011. Dans les faits, les principaux traits du diagnostic établi sur le secteur depuis le début des années 2000 et confirmé par NODALIS en 2011 demeurent : EDG, de par sa situation financière et la faiblesse de ses performances commerciales, est une entreprise virtuellement en faillite, prise dans une spirale descendante de performance; elle n’est plus en état d’assurer une exploitation et une maintenance normale du service public de l’électricité. Même si les recommandations de cette étude ont été validées par le Gouvernement Guinéen et ses partenaires au développement en Janvier 2012, leur mise en œuvre a connu des difficultés certaines et un retard ayant eu pour conséquence l’aggravation de la dégradation du service électrique et une éruption chronique de réactions sociales violentes dans les zones les moins desservies ( Avec des morts d’hommes). C’est dans ce contexte de pression sociale pour un meilleur service électrique, d’impératif de reconstruction de la gouvernance d’entreprise, de temps d’action et de disponibilité de ressources limitée qu’un nouveau Directeur Général de EDG a été nommé le 17 avril 2013, à la personne de Nava Touré. La priorité des priorités est donc d’enrayer la lourde tendance. Avec cet autre directeur, l’on croyait résoudre le problème. Ainsi, nombreux sont ceux qui se demandent si l’affaire d’EDG est une affaire d’homme ou de gouvernance efficace. M. Touré est arrivé pour constater que le système électrique est constitué par les centrales de production, les lignes de transport sous Haute Tension (HT) et le réseau de distribution sous Moyenne Tension (MT) et Basse Tension (BT).
Le rapport sur l’état des lieux établi par la Direction générale version ‘’ Nava Touré’’ a peint le tableau de la boite en fournissant des informations détaillées sur les installations dont EDG est chargée de l’exploitation. En résumé, ces installations montrent des insuffisances à tous les niveaux Le segment production, constitué par les centrales thermiques au mazout de Tombo (essentiellement Tombo III et Tombo V), les petites centrales thermiques au gas-oil des centres isolés de l’intérieur, les centrales hydroélectriques du Samou (Banéah, Donkéa, Grandes-Chutes), de Garafiri, de Kinkon et de Tinkisso est caractérisé par un faible taux de disponibilité (capacité utilisable sur capacité installée) et un déficit de capacité de production par rapport aux besoins. Les techniciens ont à l’époque indiqué que les puissances effectivement disponibles de ces centrales, avec des taux de disponibilité révélateurs des faibles performances de EDG, en dépit de plusieurs programmes de réhabilitation lancés dans le passé récent. En comparant la puissance disponible au besoin de puissance pour couvrir la demande, le déficit de puissance est actuellement estimé aux alentours de plus 175 MW (Méga Watts). Cela se traduit par le délestage massif quotidiennement opéré par EDG aussi bien pendant qu’en dehors des heures de pointe de charge. La première tranche de 24 MW (Tombo 1) du programme d’adjonction de 100 MW de puissance entrepris en 2011 n’est pas encore pleinement opérationnelle (sera-t-elle opérationnelle) et la date de mise en opération des 76 MW restants demeure pour le moment indéterminée. Le réseau de transport HT (Haute Tension) est constitué : De lignes 30 kV (pour le système Kinkon), 60 kV et 110 kV (pour les systèmes Samou et Garafiri) totalisant 759 km ; de 3 postes d’interconnexion à Matoto, Grandes-Chutes et Mamou totalisant 88 MVA ; de 19 postes sources totalisant une puissance de 246 MVA. Ce réseau manque de fiabilité en raison notamment des faiblesses importantes enregistrées au niveau des postes sources, reliées à des limitations de capacité de transit, à la défectuosité des protections, au manque de flexibilité d’exploitation pour défaut d’équipements de réserve et à la défectuosité des équipements de télécommunication nécessaires à la conduite de l’exploitation. Le réseau de distribution de Conakry est illustratif de l’état d’ensemble des réseaux de distribution du service public de l’électricité. Ce réseau est notoirement surchargé tant au niveau des conducteurs qu’à celui des transformateurs dont bon nombre ont des taux de charge de l’ordre de 120-130%, entraînant des déclenchements intempestifs ainsi que des pertes de transformateurs à un rythme moyen de 2 par semaine. Faute de maintenance et d’investissements suffisants, seulement 70% du réseau MT (Moyenne tension) et 50% du réseau BT (Basse tension) sont dans les normes, le reste étant constitué de réseaux de fortune qui aggravent les pertes d’énergie. Dans les villes de l’intérieur, mis à part les noyaux de centre-ville, le peu de réseau de distribution qui subsiste est complètement hors-normes.
État de la desserte en électricité
Avec une population de plus de 10 millions d’habitants, la Guinée a actuellement, avec 18,8%, un très faible taux d’accès à l’électricité. L’électrification se limite à quelques centres urbains. Même à Conakry qui compte plus de 2 millions d’habitants, d’importantes couches de la population n’ont pas accès à l’électricité. Le manque de fiabilité des réseaux de transport et de distribution vient aggraver la situation de la desserte, en privant d’électricité de larges franges de la clientèle, et amplifiant les problèmes liés à l’insuffisance notoire de la production. Le taux d’accès à l’électricité a cessé de croître depuis le début des années 2000. En réalité, en dépit de l’augmentation modeste de la production d’électricité, en se basant d’une part sur la dégradation continue de la qualité du service électrique, le délestage récurrent des clients et, d’autre part, sur la croissance démographique, on peut estimer que le taux d’accès à l’électricité en Guinée est en décroissance. Pour Conakry qui absorbe la quasi totalité des investissements visant à accroître la desserte en électricité, les 27 grandes artères de distribution électrique en Moyenne Tension irriguant les quartiers sont classées en 8 départs prioritaires alimentant essentiellement les quartiers administratifs et d’affaires de Kaloum et 19 départs non prioritaires alimentant les autres quartiers. Le taux de desserte qui représente le temps effectif d’alimentation en électricité sur une certaine période est actuellement de 98% pour les départs prioritaires et autour de 20% pour les départs non prioritaires. Ces chiffres non audités illustrent clairement le degré de performance inacceptable d’EDG. Généralement, on s’accorde sur l’estimation que sur 3 kWh produits par EDG, à peine 1 kWh est monétarisé. Ce faible rendement s’explique d’une part, par les pertes techniques (dissipation d’énergie électrique dans les installations techniques) anormalement amplifiées par l’état de vétusté et hors-normes des installations de transport et de distribution d’électricité, estimées à 30% et, d’autre part, par les pertes commerciales directement reliées aux vols d’électricité et fraudes massives de toutes sortes au niveau des consommateurs tant clandestins qu’officiels, estimées à 35%. Cependant les rapports officiels 2012 de EDG indiquent des chiffres plutôt honorables, avec un taux global de facturation pour Conakry de 73,4% (hors fraude gros consommateurs) et de 96,9% (incluant fraude gros consommateurs), avec des taux d’encaissement bruts respectifs de 74% et 47,7%. Dans le rapport de l’étude diagnostic du secteur de 2010, certains investissements dits prioritaires avaient été identifiées pour le court terme dans l’objectif d’assurer la base pour le redressement du secteur. Ces besoins ont par la suite été déclinés dans plusieurs programmes d’urgence d’EDG. En évoquant la capacité de gestion, l’on retiendra que l’effectif global du personnel d’EDG qui est de 1.755 est sans doute inadapté, dans la mesure où il présente un ratio de 74 clients par employé, contre 140 à 240 clients par employé dans les autres sociétés d’électricité de la sous-région. Cet effectif connaît aussi une distorsion dans sa structure, avec une prédominance de l’effectif des cadres supérieurs (22%) et moyens (48%) par rapport aux ouvriers et employés (30%). En outre, près de 60% de l’effectif global est âgé de plus de 50 ans, rendant ainsi leur reconversion plus difficile.
Du fait des promotions fantaisistes, de l’abandon des saines procédures de gestion du personnel et de l’insuffisance de la formation continue du personnel, les capacités des cadres et agents ne sont en général pas à la hauteur des défis à affronter. Pendant ce temps, les ressources humaines formées dans le passé sont dispersées et dégradées, car rendues végétatives dans des positions complètement déconnectées de leurs compétences.
La contrainte majeure au développement du secteur de l’électricité est reliée à la gouvernance qui a prévalu en Guinée depuis des décennies. Les déficiences de cette gouvernance, tant au niveau global qu’au niveau sectoriel sont en fait à la base des problèmes qui ont conduit au quasi effondrement du service public de l’électricité. Il convient de rappeler que l’alimentation en électricité de la ville de Conakry est assurée par le Système interconnecté Tombo-Samou-Garafiri-Kinkon, dont le fonctionnement est caractérisé par : Une forte dégradation des équipements de production, transport et distribution d’électricité, faute de maintenance et d’investissements ; un déficit de production par rapport à la demande d’électricité avec une couverture à hauteur de 60% de l’énergie demandée et un besoin d’adjonction de puissance estimé à 125 MW; l’état général de surcharge des principales artères du réseau de distribution Moyenne Tension (MT) de Conakry obligeant à des délestages aux heures de pointe même lorsque la production est disponible ; un niveau de pertes commerciales inadmissible avec une énergie facturée représentant à peine 50% de l’énergie produite ; un tarif moyen de vente du kilowatt- heure (kWh) représentant à peine 55% du tarif moyen d’équilibre requis ; le tout résultant en une situation de cumul de déficits financiers de l’ordre de 42 milliards GNF par an en moyenne entre 2002 et 2012 et de compromission de la continuité du service public de l’électricité.
Assurer de façon durable la desserte normale de Conakry suppose donc que les goulots d’étranglement au niveau des capacités de production, de transport et de distribution sont éliminés et que les performances commerciales et financières du service public de l’électricité sont redressées, toutes choses qui nécessitent d’importants efforts investissements et d’amélioration de gestion et un délai qui, dans le meilleur des cas, ne peut pas être inférieur à 2 ans.
Aly Badara Condé