L’on aime dire que l’histoire se répète, parce que écrite et influencée par des hommes, ces êtres capables d’intelligence. Et effectivement, la fièvre hémorragique virus Ebola n’est qu’une forme de cette répétition.

Nous envisageons l’histoire de la Planète Bleu (autre dénomination de la Terre) comme un long découpage linéaire des temps (ères) géologiques (primaire, secondaire, tertiaire, quaternaire) correspondant à des événements majeurs de l’histoire de la Terre (ouverture des océans, formation de chaînes de montagnes…) et de la vie (apparition/ disparition d’espèces). Mais ce n’est qu’au quaternaire qui a débuté il y a environ 2,6 millions d’années et que nous vivons encore, qu’il y a eu succession de périodes froides et chaudes, l’apparition de l’Homos Habilis (homme habile, adroit) et des premiers outils et de l’Homo Erectus (homme debout) chasseurs et cueilleurs. C’est lui qui découvre et domestique le feu.

C’est dire finalement que depuis des milliards d’années, les cataclysmes et changements radicaux et souvent irréversibles étaient des phénomènes purement naturels, sans aucune intervention de l’homme.

C’est à partir de l’Anthropocène, l’une des dernières périodes du quaternaire, avec la domestication et l’élevage des animaux que l’influence de l’homme sur le système terrestre est devenue prédominante, que l’économie de prédation laisse sa place à une économie de production, avec la culture des céréales, le travail de la pierre polie et des métaux et l’apparition des premiers villages. De nouveaux modes de vie entraînent alors un rapide développement démographique, la naissance d’une civilisation urbaine, socialement et professionnellement hiérarchisée et l’esprit de propriété.

Et l’impact de l’homme sur la nature commença. De plus en plus possessive, de plus en plus destructrice. Conséquence du fait que le développement humain est de plus en plus confondu à la croissance des chiffres économiques.

 

Liens entre Environnement et Fièvre hémorragique à virus Ebola

 Et c’est dans la suite de ces importants changements

Environnementaux anthropiques que le monde et particulièrement l’Afrique ont connu ces dernières décennies qu’il faut chercher les causes des maladies infectieuses émergentes (MIE) ravageuses, dont la fièvre hémorragique à virus Ebola représente pour le moment le dernier maillon virulent. Les spécialistes en santé publique auraient cité d’abord la peste bovine et humaine, le charbon, le choléra, les fréquentes épidémies de méningite, de fièvre jaune, etc. Et à l’Institut Nènè Kaly Condétto (ex-Institut Pasteur) de Kindia on savait déjà depuis le début des années 90 que la fièvre Lassa est endémique en Guinée Forestière, à Madina Woula dans Kindia, au Libéria et en Sierra Leone.  Il n’est point besoin de revenir sur l’épidémiologie de cette pandémie. Dénommée Ebola en référence à une rivière passant près de la ville de Yambuku, dans le nord de la République démocratique du Congo, le premier cas aurait été identifié en septembre 1976 par un médecin belge. Depuis ce jour, 5 espèces virales de fièvre hémorragique ayant des symptômes identiques chez l’homme et les autres primates mais génétiquement différents, ont été identifiées, et dans des forêts des pays aussi distants que le Soudan et les Etats-Unis ou la Guinée et la Chine.

Heureusement et rapidement, on connait maintenant les modes de contamination et les voies de transmission, les manifestations primaires, les dispositions idoines à prendre pour rompre la chaine de contamination, les efforts fournis par le corps médical pour son éradication, etc. On sait surtout que la fièvre hémorragique à virus Ebola, pour laquelle il n’existe pas encore de traitement homologué, a un taux de létalité qui peut dépasser 75 % chez l’humain.

Et pourtant, toute autre justification de ces maladies émergentes est recherchée, mais c’est seulement de manière voilée que l’on ose indexer la déforestation massive pour des raisons de production vivrière et d’exploitation minière comme facteur favorisant. Puisque le parent proche ou lointain, le voisin, le chef, le riche et le pauvre, bref l’Homme en est lui-même responsable.

Il est aujourd’hui incontestable que l’augmentation de l’activité humaine dans et autour des forêts et des zones humides sensibles augmente les opportunités d’émergence de ces nouvelles maladies. Et comme le dit si bien Jonathan Epstein, épidémiologiste newyorkais spécialiste des maladies virales émergentes, « En général, le virus Ebola vit à l’intérieur de la jungle, dans des animaux, probablement les roussettes, une espèce de chauve-souris frugivores. Les flambées se produisent lorsque le virus Ebola « déborde » de son hôte animal vers une personne humaine».

Devrait-on donc s’étonner lorsque la communauté scientifique affirme que l’épidémie paraissait prévisible et inévitable ? Que les risques d’émergence et de propagation en Afrique de l’Ouest existaient depuis au moins une décennie ?

Une des principales causes est justement la réduction drastique de la superficie du patrimoine forestier et des habitats des animaux sauvages. Ce qui les met en contacts fréquents avec l’homme. Or, le Plan d’Action National guinéen sur la Diversité Biologique souligne que ces formations forestières abritent encore une biodiversité riche et abondante qui nous rend des services environnementaux vitaux (alimentation, recréation, santé, culture et tradition, fonctions écologiques de prévention, de refuge et de protection, etc.). Ce patrimoine guinéen couvrirait environ 13 millions d’hectares (53% du territoire), mais les superficies cultivées ont augmenté de 55 à 85 % depuis des années 1970, la durée de la jachère est passée de 7 ans à moins de 3 ans dans le même temps et elle a même tendance à disparaître. De 350.000 ha en 1965, la mangrove guinéenne ne couvrirait aujourd’hui qu’environ 250.000 ha, une perte de 30% en 50 ans.

Une question étouffe alors les environnementalistes guinéens : est-ce que nous apprécions bien ce scandale environnemental qu’est la Guinée ? Savons-nous qu’elle seule a le privilège d’être la symbiose de tous les écosystèmes de l’Afrique de l’Ouest (marin, de mangroves, de montagne, soudano-sahélien, de savane, et forestier) ? Et pourtant, même les aires centrales de nos principales forêts classées et aires protégées, où ne sont autorisés que les travaux de recherches scientifiques ou de tourisme guidé, sont à la merci des propriétaires de tronçonneuses de bois. Les autorisations d’exploitation accordées aux exploitants miniers industriels et artisans soulèvent des problèmes d’équilibre et de protection de ces écosystèmes naturels. Les constructions de routes et des ports, l’urbanisation anarchique, les pollutions atmosphérique et marine exponentielles, les aménagements hydroélectriques et agricoles fragilisent des zones qui étaient auparavant presque inaccessibles. Les habitats naturels des animaux sauvages sont réduits dangereusement.

A titre d’exemple, le Parc du Badiar dans Koundara, la Forêt classée du Haut Niger dans Faranah, la Forêt classée du Ziama dans Macenta, la Réserve de Biosphère des Monts Nimba dans Yomou, Lola, Nzérékoré, pour ne citer que ceux-là, sont réduits « à leur simple expression » ? Certains villageois de Macenta se souviennent-ils encore de leur lutte avec des éléphants autour des régimes de bananiers plantés à l’orée de leurs villages ? L’augmentation des populations de chauves-souris en maints endroits des villes de l’intérieur n’est-elle pas visible dans les plafonds des maisons et dans les arbres fruitiers à l’ombre desquels on palabre volontiers ?

Pourtant, ces chauves-souris frugivores ou insectivores et certains petits rongeurs constituent vraisemblablement le réservoir naturel de la fièvre hémorragique à virus Ebola. Et d’autres mammifères peuvent être infectés, y compris l’homme, comme nous le vivons actuellement à nos dépens sur le territoire guinéen et dans les pays voisins du sud. Qui ne se souvient pas dans son enfance de ces mangues mûres inaccessibles à la cime des manguiers, mais que l’on retrouve le matin à terre complètement picorées et égratignées par les chauves-souris! Qui n’en fut pas déçu à l’époque ?

Mais quand on fuit l’éléphant, on va abattre les « petits » et inoffensifs animaux, surtout les multiples espèces de singes, pour le commerce de la viande de brousse. Combiens de gargotes « spécialisées » (re)surgiront à Conakry et dans les grands centres de la Guinée, lorsque Ebola sera vaincue ? Parce qu’elle sera vaincue !

Aussi, les années 1990 à 2000 ont connu une dangereuse instabilité sociale et économique dans le bassin de la Mano River. Le Libéria puis la Sierra Leone ont traversé des guerres civiles qui ont poussé la Guinée à accueillir une masse de réfugiés équivalente à près de 10% de sa population, une première à l’époque à travers le monde. Principalement stationnées dans le « bec du perroquet » en Guinée forestière (Macenta et Guéckédou), à Faranah en Haute-Guinée et à Forécariah en Basse-Guinée, ces populations migrantes y ont provoqué une déforestation de très grande envergure pour développer une agriculture de subsistance, pratiquer des activités génératrices de revenus et aussi chasser de la viande de brousse.

Cette augmentation des perturbations de l’état naturel des forêts par les activités humaines (agriculture de subsistance, exploitation minière, urbanisation anarchique, occupation illégale des Domaines Publiques Maritimes, aménagements routiers et portuaires sans études d’impacts, etc.) ont ainsi poussé les animaux sauvages, principalement les chauves-souris, à trouver de nouveaux habitats, de nouveaux refuges et de nouveaux périmètres d’alimentation près des hommes qui s’exposent à ces vecteurs. Nous nous familiarisons aussi avec d’autres animaux qui ont eu des contacts avec ces vecteurs. L’émergence de la fièvre hémorragique à virus Ebola est ainsi favorisé, puisque le virus Ebola « aura débordé » de son hôte animal vers une personne».

En traversant les bas-fonds de Dabondy, l’une des rares zones humides de Conakry, les Conakrykas ne devraient-ils pas pleurer ? Puisqu’ils y verront que la génération présente y a hypothéqué une importante partie de l’avenir des générations futures de la capitale guinéenne ! De l’eau, de la fraicheur, des reposoirs d’oiseaux endémiques et migrateurs, des feuilles de patates, des crapauds et des niches de moustiques contre une station d’essence et un centre commercial, du cash and now quoi !

Et lorsqu’à cela s’ajoutent la croissance démographique globale (la population guinéenne a doublé de 5 millions en 1996 à 11,890 millions d’habitants en 2012), les déplacements et migrations de plus en plus fréquents et de plus en plus éloignés des populations qui peuvent accélérer la distribution géographique de la fièvre hémorragique à virus Ebola, disons que le cocktail de la contamination et de la propagation est à point. Il s’agit d’en être conscient pour faire attention à notre environnement.

Ebola et Changement Climatique

 

Comme souligné plus haut, l’environnement figure parmi les principaux déterminants de la santé individuelle et communautaire et l’exposition à des facteurs de risques liés à cet environnement peut nuire à la santé. Mais il n’existe pour le moment rien de précis sur le lien Changement Climatique et fièvre hémorragique à virus Ebola. En fait le climat est un facteur de risque rarement direct, jamais prouvé, puisque la veille environnementale et la surveillance sur le long terme font défaut, principalement sous nos tropiques.

L’on s’accorde seulement à dire que le réchauffement de la planète joue un rôle de mieux en mieux déterminant dans l’émergence et le déplacement des maladies infectieuses (MIE). En Guinée, le document relatif à l’analyse situationnelle, l’évaluation des besoins et l’élaboration d’un plan d’action commun et harmonisé en Santé et Environnement (ASEB) élaboré conformément à la Déclaration de Libreville des Ministres africains de la Santé et de l’Environnement d’Août 2008 soutient que les maladies liées à l’environnement deviennent de plus en plus variées, fréquentes, importantes et difficiles à résoudre. Il recommande donc des stratégies intégrées de prévention des problèmes et menaces sur la santé publique résultant de la détérioration de l’environnement ou des impacts du changement climatique.

Et même si le Plan National guinéen d’Adaptation au Changement Climatique (PANA) de juillet 2007 ne s’est pas appesanti sur cette problématique sanitaire, il soutient que les impacts que nous subissons en Guinée (élévation du niveau de la mer et des températures, vents de plus en plus forts en mer et en terre ferme, pluviométrie violente et concentrée, etc.) militent fortement pour sa prise en compte en santé publique. Au-delà donc des menaces liées aux évènements extrêmes, des tempêtes aux sécheresses, d’autres risques sanitaires semblent apparaître en lien avec l’évolution du climat.

Quel habitant des quartiers souvent inondés de Tombo et Coronthie dans Conakry n’a pas régulièrement fait l’expérience des rongeurs qui, à cause des pluies diluviennes, fuient leurs terriers inondés et se réfugient alors dans les plafonds et armoires des habitations humaines.

Et pourtant, la fièvre hémorragique à virus Ebola est vue aujourd’hui comme il en est du Changement Climatique. Tout le monde en parle tous les jours, tout le monde voit les impacts réels et potentiels. Et dans les deux cas, les solutions idoines à notre portée sont ignorées et même combattues. Sait-on que la rareté de certains fruits dans la forêt pousse les animaux sauvages comme les chauves-souris à s’orienter vers nos agglomérations ? Ceci favorise naturellement l’accrochage homme – chauves-souris ! N’encourage-t-on pas cette promiscuité dangereuse, en se disant, il me faut une maison digne de mon rang ou de ma poche en bordure de mer, quitte à remblayer 2 à 20 hectares de mangrove à Conakry, Boffa, Dubréka ou Kamsar, quitte à loger des cités de grande envergure dans des forêts protégées ou dans des zones humides vulnérables, sans solutions durables de mitigation des impacts ? Connait-on exactement l’étendue des superficies déboisées et érodées annuellement par les exploitations minières industrielles et artisanales (de la bauxite, de l’or et du diamant et bientôt du fer) ou pour l’agriculture de subsistance qui occupe environ 80% de la population guinéenne? Connait-on l’étendue de la forêt détruite pour du charbon de bois drainé vers Conakry et d’autres grandes villes de Guinée?

 

Fièvre hémorragique à virus Ebola, tradition et religion

 

Enfin, l’attachement incompréhensible à certaines pratiques religieuses et aux traditions africaines ne sont pas en reste dans la persistance et dans la propagation de la fièvre hémorragique à virus Ebola en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. Or, à cause de sa très grande virulence, son taux élevé de létalité et ses symptômes spectaculaires, la fièvre hémorragique à virus Ebola doit faire peur. Les premiers responsables religieux et autres leaders d’opinion sensibilisent régulièrement leurs coreligionnaires et « brebis ». Mais d’autres chefs religieux et de nombreux guérisseurs traditionnels propagent des croyances dangereuses et peu charitables sur les soit-disants liens entre ces maladies émergeantes et le péché que nous commettons souvent, consciemment ou inconsciemment. Depuis la nuit des temps, l’homme n’implore-t-il pas Dieu et demande Clémence, particulièrement au moment de calamités comme les éruptions volcaniques, la sécheresse, les maladies ravageuses, le déchainement des eaux et des vents, etc. ? Ne nous enseigne-t-on pas que Dieu est Amour et Clémence et Lui seul sait qui il récompensera en bien après une mort que Ebola peut bien précipiter ?

Oui, la fièvre hémorragique à virus Ebola est une calamité. Mais c’est aussi et surtout une maladie comme toute autre qui, si elle n’est pas soignée à temps et vigoureusement, peut entrainer rapidement la mort. Ce n’est pas à priori une colère de Dieu contre les hommes.

Oui, il n’y a pas encore de remède à cette maladie. Mais les Hôpitaux, Centres de santé, Centre de Traitement Ebola sont les seuls endroits où l’on offre le minimum de précaution et d’hygiène. Aller chez le guérisseur, vouloir s’abreuver de ses décoctions en ces temps – ci, c’est donner libre cours à la propagation. Car les contacts étroits d’une personne infectée, vivante ou décédée, sont les meilleures voies de transmission du virus.

Comme le choléra à ses débuts, la fièvre hémorragique à virus Ebola a fait des victimes qui ne devraient pas être. N’est-ce pas dangereux pour nos familles, nos collègues de travail, nos amis de longue date que de vouloir actuellement aller inhumer les morts dans nos villages pour cause de rituels funéraires religieux ou ancestraux ? Pourquoi « fuir » nos frères ou voisins pour aller contaminer oncles, tantes, cousins et corps médical à Forécariah, Boffa, Kindia, Télimélé, Siguiri, Macenta, Guéckédou Nzérékoré ? Se rendre à l’hôpital dès les premiers symptômes, n’est-ce pas être sauvé et sauver d’autres vies ?

Le refus justifié des autorités de la Mecque de ne pas recevoir les prochains pèlerins guinéens, le refus de visas à des guinéens devant aller défendre les couleurs de la Guinée, pour étudier ou pour se soigner, la gourde d’une année blanche scolaire et universitaire ne sont-il pas assez graves pour se ressaisir ? Les conséquences et les coûts inestimables, même par les meilleurs économistes du FMI ou de la Banque Mondiale pour ne citer que ces 2 institutions, devrait nous rendre malheureux. C’est le lieu de voir l’évidence.

La gravité de la situation nous invite à être proactifs à l’unanimité pour l’éradication de cette pandémie de la fièvre hémorragique à virus Ebola en Guinée et dans la sous-région. Et très vigilants bien après aussi. Car les maladies infectieuses émergentes (MIE) comme le choléra, le charbon, la fièvre hémorragique à virus Ebola ne sont pas sortis de nulle part. Elles ont toutes bénéficié de la présence d’un vecteur, un maillon transporteur dans la chaine alimentaire vers le top prédateur qu’est l’Homme.

Au-delà de ce combat que nous ne pouvons gagner qu’ensemble, Etat guinéen et patrie doivent se confondre en chacun de nous pour construire l’avenir de la Nation guinéenne. En cela, Ebola est une opportunité !

 

Dr Alkaly DOUMBOUYA

Expert et Chercheur