La difficile émergence d’institutions politiques en Guinée – Partie III –Rompre avec les pratiques actuelles.
La constitution donne aux partis politiques le monopole de la compétition électorale. Ainsi, l’enracinement d’une culture démocratique en Guinée doit impérativement commencer par les institutions politiques. Les débarrasser de leurs dysfonctionnements est une nécessité.
Comme tout changement, l’émergence d’institutions politiques viables en Guinée demande que les paradigmes et les pratiques actuelles soient questionnés et invalidés. Les idées novatrices doivent s’inspirer de l’expérience collective et apporter des solutions aux problèmes identifiés ou diffus. C’est la condition pour qu’elles viennent à bout des inerties. Promettre le changement sans avoir enrôlé les citoyens dans la définition des problématiques à résoudre, c’est contribuer à la démagogie de la quête du pouvoir. Ce réductionnisme doit être abandonné. Il crée le désengagement citoyen et fait le lit au cynisme ethnique.
Les programmes des partis politiques doivent être curatifs et incarner les aspirations à la rédemption des guinéens. Les expériences traumatiques de la Guinée doivent être mises en avant sans euphémismes et placées au centre des stratégies. Les promesses de les soulever seulement après avoir gagné les élections sont fallacieuses. Le combat politique est un processus de résolution des problèmes d’un pays. L’arrivée au pouvoir d’un parti ou d’une coalition n’est qu’un des aspects de ce combat. Elle ni sa condition, ni sa finalité. En Guinée, on assiste à une inversion des stratégies qui fétichise le pouvoir. Elle a réduit les partis politiques guinéens à des groupuscules – de l’armée, des hommes d’affaire et des bureaucrates – se battant pour prendre la nation en otage avec le paravent de l’ethnie. Ailleurs les paravents de ces groupuscules sont la religion, l’argent et la violence. Mais la faillite de ce qu’ils masquent est garantie.
Les groupes et les coalitions d’intérêts sont inévitables. Ils sont même nécessaires au fonctionnement d’une démocratie. Mais les oligarchies qui noyautent l’état sont à rejeter. Les cadres guinéens, la jeunesse, la société civile en général doivent engager une lutte tout-azimut pour les éradiquer. Ce processus de curetage et de renaissance des partis politiques guinéens ne sera pas ordonné ou linéaire.
Il suppose à l’intérieur des partis des disputes compétitives, ouvertes et âpres du leadership et de l’orientation. Il requiert que les militants arrachent les institutions de la mainmise des leaders.
Les problématiques d’ancrage des partis dans la réalité et les aspirations des citoyens doivent constituer l’ossature des stratégies politiques. Elles demeurent presque inexplorées et sont ici abordées sous l’angle de la culture politique d’exclusion, la notion de citoyenneté dans une nation en formation, la viabilité de la Guinée, de sa désintégration possible ou de son intégration dans un ensemble plus vaste et plus solide comme solution à son marasme chronique. Dans un article, cela ne pouvait être fait que sommairement. Mais il est essentiel que les partis politiques apportent leurs réponses à ces questions ontologiques.
Exprimer les contradictions et les ambitions
Les militants des partis politiques doivent refuser d’être les otages d’individus ou des groupes d’individus. S’il est acceptable que les partis restent discrets sur leurs plans d’action, les cadres doivent souligner et documenter les contradictions internes au lieu de les étouffer. Pour que la culture de débats prenne racine, les rumeurs – toujours orientées vers des critiques acerbes contre un tel politicien – doivent être remplacées par des forums organisés avec des publications écrites. Des débats houleux à la place des conciliabules sont nécessaires. Un des préalables est d’oblitérer le mythe d’unité que les leaders politiques instillent pour justifier leur mainmise. La Guinée n’a que trop souffert des unités fictives où des prétendus «frères » tuent impunément et réduisent au silence tout potentiel adversaire.
Quand ils sont dans l’opposition, les ténors des partis politiques font croire que c’est la désunion qui est la cause principale de leurs échecs. Ils étouffent ainsi les contradictions internes comme prix de la conquête du pouvoir. En réalité, l’échec procède du mode de fonctionnement occulte des partis. L’étouffement des contradictions se farde de plusieurs atours: l’harmonie ethnique ou régionale, la politesse, le droit d’ainesse, la fraternité nationale, le patriotisme etc. Il crée une confusion élaborée entre discipline et ordre. L’état d’esprit qui privilégie l’ordre dans une organisation sied plutôt au fascisme. La discipline démocratique qui repose sur l’adhésion volontaire doit s’accommoder de la liberté de critiquer. C’est dans les discussions âpres et approfondies ainsi que dans la confrontation des méthodes de militantisme que les insuffisances sont décelées. Le débat débusque les faux-fuyants et conforte la position des vrais militants.
L’éradication de la culture du non-dit dans une société conservatrice et conformiste comme la nôtre n’est certes pas une tâche aisée. Pour leur propre survie, les partis politiques doivent prendre les devants et s’ajuster au monde de la communication ouverte au lieu de s’engluer dans l’invocation des pratiques dépassées. Par mandat légal ou par culture interne, la création de courants d’idées au sein des partis doit être encouragée.
Les candidatures aux postes locaux ou nationaux devront se faire par des élections au bulletin secret avec des conventions primaires dont les règles seront régies par les lois électorales. Il doit en être de même de la compétition pour le choix de candidats aux instances dirigeantes d’un parti, au parlement et au poste de président de la république. Ce cadre de pratiques est indispensable pour ne pas continuellement élire aux postes de président ou de législateurs des cadres qui, non seulement n’auront pas fait leur apprentissage des rudiments démocratiques, mais auront rodé l’état d’esprit d’autocrates à l’intérieur de leurs propres partis politiques.
Ce processus est long à mettre en œuvre. D’où l’impérieuse nécessité de l’initier maintenant. Les excuses qu’on émet avant d’étudier l’idée ou de l’avoir mise en œuvre sont : «c’est compliqué», «les gens ne sont pas préparés », «chacun va voter pour son parent », «cela va créer le désordre» etc. Ces excuses ne sont pas qu’irrecevables avec l’échec de la démocratie depuis plus de deux décennies en Guinée. Elles sont malhonnêtes et à rejeter.
Ouvrir les dissensions c’est permettre aux ambitions légitimes de s’affirmer avec plus de clarté. C’est assurer leur démarcation les unes des autres sur la base de projets. En fondant les confrontations d’idées sur des questions de principes et de méthodes, vont graduellement s’atténuer les convoitises et les querelles sourdes typiques de nos sociétés. Le processus devra permettra une plus rigoureuse sélection par l’affirmation des meilleurs militants et la rupture d’avec la médiocratie. Il n’élimine certes pas les conflits d’intérêts des ambitions. Toutefois, en mettant les compétences sous les feux de la rampe, les médiocres ne pourront plus recourir aux prestidigitations de l’ethnie pour prendre les partis politiques en otage.
De l’exclusion nationale et de l’intégration régionale
Depuis l’accession de la Guinée à l’indépendance, la pratique politique a consisté en une imposture nationaliste par laquelle les gouvernants se définissent comme propriétaires de la patrie. Toute personne qui émet des réserves sur la viabilité des politiques ou la capacité des dirigeants est marquée du label de traitre. En sous-entendu, même si les tenants de toute parcelle de pouvoir affirment autrement, les différences politiques sont interdites. Plus spécifiquement, cette culture ne fait pas que réprimer la différence. Elle punit le manque d’enthousiasme, d’amour et de dévouement envers les dirigeants, par des exclusions, des discriminations économiques ainsi que par des répressions verbales ou physiques.
Ce sont ces pratiques politiques qui ont fissuré politiquement la Guinée en ethnies, Diaspora, régions, castes etc. Que les dictatures encouragent les conflits entre les différentes composantes de la nation comme moyen de survie, peut s’expliquer. Mais que les partis politiques baignent avec complaisance dans cette culture d’exclusion est une garantie de sa survie. La logorrhée de l’unité nationale est l’excuse pour ne pas traiter de la question. Dans leurs plateformes, les partis politiques n’offrent aucun cadre d’interactions des différentes composantes de la Guinée ou d’une gestion saine des diversités ethniques. La question des disparités de traitement et des ostracismes contre des ethnies de la nation est abordée avec des faux-fuyants. Les tabous des culpabilisations collectives restent ainsi tapis dans l’ombre.
Endiguer la culture d’imposture et d’exclusion est essentiel. La question porte sur la viabilité des nations africaines et sur la nécessité de renforcer l’intégration régionale qui décidera si l’Afrique peut faire face à la compétition mondiale ou rester à la traîne.
Eût égard à son passé et à son présent déplorables, un tel débat doit inclure la refonte constitutionnelle pour une Guinée fédérale. L’apriori favorable à cette option est fondé sur plusieurs raisons. En mettant la responsabilité de la gestion des affaires courantes plus près des gouvernés, les citoyens peuvent exercer un contrôle plus efficace sur les gouvernants. La responsabilité locale réduit l’excuse des blâmes aux autres. A ceux qui y voient le spectre de la désintégration, le gouvernement central gardera son rôle d’arbitre – pour éviter les abus locaux et corriger les disparités régionales.
La Guinée pourrait être un embryon pour une intégration régionale du fait aussi de sa position géographique de la Guinée – au cœur de l’Afrique de l’Ouest. A l’instar des européens après la débâcle de seconde guerre, il est urgent d’entamer la planification d’une intégration politique des états membres de la CEDEAO.
L’Afrique de l’Ouest offre des communautés culturelles stables qui perdurent depuis des millénaires. Au lieu de leurs utilisations comme levain pour l’indispensable intégration régionale, les potentats locaux en font des moyens de division. Les questions de l’intégration politique de l’Afrique ne sont en rien radicales, ni audacieuses. Les colons français avaient créé les ensembles de l’AOF et de l’AEF? Avec les moyens de communication contemporains, seule une vision étriquée des politiciens – qui rêvent plus d’être chefs d’état dans leur village – empêche la vitale ambition de recréer des ensembles similaires.
De la citoyenneté et de la nation
La Guinée est un composite de sociétés lignagères, claniques et ethniques. L’individu n’est pas encore défini comme un citoyen, par ce qu’il fait ou par une profession. Il est défini par son ascendance, son village, son clan, sa famille, des pactes sociaux et des alliances persistantes et insuffisamment explorés. Le comportement est régi par la superposition de considérations traditionnelles, avec des notions républicaines encore précaires – elles-mêmes baignant dans les influences du monde environnant. La notion de citoyen guinéen est émergente au mieux. Est-elle nécessaire ? Ne pourrait-on pas exploiter les identifications multiples, les appartenances plurielles de l’ethnie et de la culture qui transcendent les frontières artificielles ? N’est-ce pas là un terreau fertile sur lequel planter l’intégration ou la désagrégation des nations précaires de l’Afrique ? Dans un monde qui se globalise avec des aliénations culturelles insidieuses : media de l’occident, fascinations des courants religieux fondamentalistes, globalisation des décisions économiques et le corollaire de la tentation de repli nativiste, c’est un défi auquel l’Afrique doit faire face. Avec une nation en état de faillite en Guinée – où l’élément ethnique a été érigé en fonds de commerce politicien – avec un passé chargé d’ostracisme, le défi est encore plus crucial. Les partis politiques doivent tacler ces identifications complexes. La fuite en avant ne peut pas combler ces questions importantes.
Construction historique, la nation telle qu’elle a été connue n’est que la résultante de confrontations –souvent violentes et arbitraires – d’où émerge un modus vivendi entre ses composantes, religieuses, ethniques ou de classe. Dans les régimes démocratiques ce modus vivendi est sous l’égide de la justice. Une nation ne peut exister et se pérenniser si une quelconque composante a le sentiment d’en être exclu. C’est de la pure duplicité que de vouloir enfouir les contradictions des différentes composantes de la Guinée dans des jubilations de fraternité ou des rituels de conjurations de la violence. Une Guinée prospère ne sortira pas du refus de lire et de gérer les pesanteurs sociologiques et de l’histoire. Ce refus ne fait qu’enliser le pays dans l’engrenage de l’eth-no-stratégie. Il crée chez les guinéens des adhésions conflictuelles : obédiences religieuses, nativisme, ambivalence par rapport à l’occident, mémoire sublimée du passé etc. La misère économique et le niveau d’éducation aidant, il entretient des culpabilisations ethniques, un patriotisme de clocher et fait le lit au fondamentalisme religieux. Tous facilement exploitables à des fins politiciennes. Mais jamais générateurs de progrès.
Ourouro Bah
La difficile émergence d’institutions politiques en Guinée– Partie IV – A la recherche de modèles politiques adaptés