« Toute personne insatisfaite d’une décision de justice rendue, peut demander le réexamen de l’affaire », dixit juge Mohamed Diawara
A l’occasion de la rentrée solennelle des cours et tribunaux de cette année, la question d’indépendance, l’impartialité et d’intégrité des magistrats étaient au cœur des débats. Le reporter de votre quotidien en ligne a rencontré un jeune magistrat de ce pays qui a bien voulu s’exprimer sur ces sujets et d’autres.
Lisez s’il vous plait…
Veuillez-vous présenter à nos fidèles lecteurs ?
Lauréat de la deuxième promotion du projet « Rajeunir et féminiser l’Administration Publique Guinéenne », Juge d’Instruction de Kérouané, je suis titulaire d’une maîtrise de Droit Public (Université GLC de Sonfonia-Conakry), d’un Brevet de Magistrat (Centre de Formation et de Documentation Judiciaires), d’un Diplôme D’études en Langue Française (DELF B2) du Centre International D’études Pédagogiques de Sèvres, d’un certificat en Management des Administrations des Sciences Po Bordeaux et d’un certificat d’Aptitude en Langue Anglaise, obtenu à Accra à Excellence LanguageAcademy (ELA) doublé d’un certificat en e-MBE (ExecutiveCertificate And Business Administration).
Parlez-nous de la profession de magistrat
Mohamed Diawara : Si le terme « magistrat » désigne au sens large toute personne dotée d’une fonction d’autorité, dans le domaine judiciaire les magistrats sont les membres professionnels des juridictions de l’ordre judiciaire, bénéficiant d’un statut constitutionnel, regroupés en un corps unique et chargés d’assurer l’application de la loi dans les litiges qui leur sont soumis.
Il existe deux principaux modèles de magistrature :
Dans les pays de commonlaw, et notamment en Grande-Bretagne, les magistrats sont nommés à vie parmi les membres les plus éminents du barreau. La fonction de magistrat professionnel vient ainsi couronner une carrière de juriste ;
Les pays de droit continental, et notamment en Guinée, connaissent au contraire une magistrature de carrière, dont les jeunes membres sont nommés après un recrutement par concours, une formation de plus de dix-huit (18) mois doublée de l’obtention du Brevet de Magistrat.
Dans ce système, l’exercice des fonctions judiciaires, calqué sur le modèle de la fonction publique d’État, bénéficie d’un moindre prestige.
Le statut des magistrats est fixé par la loi organique N° L/2013/054/CNT du 17 mai 2013. Ce statut s’appuie notamment sur des principes constitutionnels et des exigences, visant à garantir la compétence, l’indépendance, l’impartialité, la neutralité des membres du corps judiciaire. Les magistrats sont des agents publics rémunérés par l’État, mais ils disposent d’un statut distinct de celui des autres fonctionnaires qui permet la protection des missions spécifiques qui leur sont confiées.
Je précise que tout magistrat est gardien de la liberté individuelle. Chacun exerce une mission fondamentale au sein de la société. Représentant le Pouvoir judiciaire, le magistrat applique et fait appliquer la loi pour permettre aux citoyens de vivre dans l’harmonie. La magistrature est une fonction d’excellence, humaine, qui requiert rigueur, éthique, déontologie et une grande capacité d’écoute et d’analyse.
Dans notre société on tend à confondre les magistrats du siège à ceux du parquet. Mais c’est quoi exactement la différence ?
Merci de cette question à la fois pertinente et édificatrice. La magistrature guinéenne est composée des magistrats du siège et du parquet. Ces deux catégories sont toutes des métiers de décision.
Les magistrats du siège tranchent les conflits entre les personnes et sanctionnent les auteurs d’infractions pénales. Qu’ils soient juges des enfants, juges d’instruction ou juges d’application des peines, ils prennent leurs décisions après étude des dossiers et confrontation des parties. Ces décisions sont rendues « au nom du peuple de Guinée».
Les magistrats du parquet défendent les intérêts de la société et veillent au respect de l’ordre public. Ils interviennent surtout en matière pénale. Lorsqu’une infraction est commise, ils apprécient les suites à donner aux plaintes et aux procès-verbaux. Ils assurent la direction des enquêtes de police et veillent à l’exécution des peines. Leur travail est aussi d’assurer la protection des personnes vulnérables ou fragiles (celles victimes d’injustice) et plus généralement de veiller à l’intérêt collectif. À l’audience, ils représentent la société et proposent une décision aux juges.
Sont Magistrats du Parquet :
Au niveau de chaque tribunal de 1ère Instance, le parquet comprend un procureur de la République, éventuellement assisté de substituts.
A l’échelle de la cour d’appel, le parquet est dit « général » et il comprend un procureur général assisté d’avocats généraux (qui, en dépit de leur nom, ne sont pas des avocats mais des magistrats) et des Substituts Généraux. Notons que l‘ensemble des magistrats d’un même parquet est indivisible et substituable, ce qui signifie que chacun d’entre eux peut représenter indifféremment le ministère public au cours de la procédure.
Et les Magistrats du siège ?
Sont Magistrats du siège:
Au Tribunal de 1ère instance : le président, les vice-présidents et les juges ;
A la cour d’appel : le Premier président, les présidents de chambre et les conseillers.
Rappelons qu’il y avait une Justice de Paix au chef-lieu de Préfecture n’abritant pas de Tribunal de Première Instance mais la nouvelle loi d’organisation judiciaire va transformer ces Justices de Paix en Tribunaux de Première Instance.
Et cela pourquoi ?
Parce que les Juges de Paix avaient plusieurs casquettes : Ils poursuivaient, arrêtaient, instruisaient et jugeaient ! Or pour respecter les principes universellement admis, on ne peut être poursuivant et juge en même temps.
Parlez-nous de la carrière de ces deux catégories de magistrats
Au cours de sa carrière, le magistrat peut changer plusieurs fois de fonctions : travailler au parquet en tant que procureur, puis rejoindre le siège en tant que juge d’instruction ou juge des enfants par exemple. Ces nombreuses fonctions permettent au magistrat d’intervenir dans des domaines différents notamment carcéral, économique, hospitalier, familial et de la protection de l’enfance. La diversité des fonctions et des champs d’activité sont une source d’enrichissement personnel et professionnel du métier de magistrat.
La vie en société peut être source de conflits : une personne âgée est victime d’une escroquerie, une jeune fille violée, une victime d’un accident de la route n’est pas indemnisée par son assurance, un parent divorcé ne voit plus régulièrement son enfant, un locataire ne paie pas ses loyers, un salarié est licencié sans motif réel j’en passe.
Dans ces situations, on attend de la Justice qu’elle rétablisse chacun dans ses droits mais aussi qu’elle protège les intérêts des individus et de la société.
Je rappelle que toute personne a le droit de contester une décision de justice qui la concerne. Cela veut dire que toute personne insatisfaite d’une décision de justice rendue, peut demander le réexamen de l’affaire en exerçant la voie de recours y afférente.
Qu’est-ce qu’une voie de recours ?
On désigne par «voie de recours», l’ensemble des procédures destinées à permettre un nouvel examen devant une juridiction hiérarchiquement supérieure ou celle qui a rendu la décision critiquée.
Et les types de voie de recours ?
La loi distingue les voies de recours ordinaires, qui sont l’opposition et l’appel et les voies de recours extraordinaires qui sont la tierce opposition, le recours en révision et le pourvoi en cassation.
Selon le cas, la recevabilité des voies de recours est liée aux conditions fixées par le Code de procédure civile, Economique et Administrative ou par le Code de procédure pénale.
Monsieur le Juge nous allons revenir une autre fois sur ces différentes notions portant sur les voies de recours afin que les lecteurs soient mieux imprégnés. A présent en tant que Juge d’Instruction, quel est votre rôle ?
En ma qualité de juge d’instruction, je suis un magistrat du siège chargé des enquêtes judiciaires dans les affaires pénales les plus graves ou les plus complexes. Je possède une double mission : procéder en toute impartialité à la manifestation de la vérité, et prendre certaines décisions juridictionnelles.
Je possède tout d’abord le pouvoir d’inculper toute personne à l’encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer à la commission d’une infraction dont je suis saisi. Je peux alors prendre l’initiative de limiter la liberté de cet individu pendant l’instruction : s’il y a nécessité, placer les inculpés en détention provisoire. Je peux prononcer des mesures restrictives de liberté dans le cadre du contrôle judiciaire.
Qu’est-ce que le contrôle judiciaire ?
Le contrôle judiciaire est une mesure de contrainte ordonnée par le juge d’instruction, dans l’attente d’un jugement.
La personne inculpée est libre, mais elle est soumise durant toute la durée du contrôle judiciaire à un certain nombre d’obligations.
Lesquels, par exemple ?
Ne pas sortir des limites territoriales d’un endroit indiqué dans l’ordonnance du Juge d’Instruction.
Ne pas se rendre à un endroit tel que le lieu de commission de l’infraction.
S’abstenir de recevoir ou de rencontrer les victimes.
Ne pas tenir ou porter une arme j’en passe.
J’ai en outre la faculté de délivrer des mandats, qui sont des ordres donnés à la force publique de contraindre un individu à se présenter devant mon cabinet.
Qu’est-ce qu’un mandat ? Quel est leur nombre ?
Les mandats sont des ordres écrits émanant d’un magistrat ou d’une juridiction et auxquels la loi attache un effet coercitif.
Le Juge d’instruction qui est de principe le Juge des mandats, a la faculté de livrer cinq types de mandats à savoir : Le mandat de comparution, le mandat d’amener, le mandat d’arrêt, le mandat de recherche et le mandat de dépôt.
Qu’est-ce que le mandat de comparution ?
Le mandat de comparution est une mise en demeure adressée à la personne à l’encontre de laquelle il est décerné de se présenter ou de comparaître devant le magistrat mandant à la date et à l’heure indiquée par ce mandat. Il est utilisé contre une personne dont l’adresse est connue, il ne comporte aucun pouvoir contraignant.
Qu’est-ce que le mandat d’amener ?
Le mandat d’amener est l’ordre donné à la force publique de conduire immédiatement la personne à l’encontre de laquelle il est décerné devant le magistrat mandant. Il ne peut être utilisé qu’à l’encontre d’une personne dont l’adresse est connue ou qui peut être arrêtée sans formalité de diffusion.
Qu’est-ce que le mandat d’arrêt ?
Le mandat d’arrêt est l’ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l’encontre de laquelle il est décerné et de la conduire à la maison d’arrêt indiquée, où elle sera reçue et détenue. Il ne peut être décerné qu’à l’encontre d’une personne en fuite ou résidant hors du territoire de la République.
Le mandat de dépôt ?
Le mandat de dépôt est l’ordre donné soit au chef de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l’encontre de laquelle il est décerné, soit la recherche ou le transfèrement de la personne à laquelle il a déjà été notifié. Il ne peut être décerné qu’à l’encontre d’une personne présente et cela à l’issue de son inculpation.
Rappelons qu’en règle générale, l’usage du mandat, sauf du mandat de dépôt, est réservéau juge d’instruction. Toutefois, d’autres magistrats ou juridictions peuvent délivrer certains mandats dans des conditions particulières.
Et le mandat de recherche ?
Le mandat de recherche peut être décerné à l’égard d’une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il ne peut être décerné à l’égard d’une personne ayant fait l’objet d’un réquisitoire nominatif ou d’une personne inculpée. Il est l’ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l’encontre de laquelle il est décerné et de la placer en garde-à-vue.
Vos autres pouvoirs ?
Je suis également doté de larges pouvoirs me permettant d’œuvrer efficacement à la manifestation de la vérité. Je peux me déplacer sur les lieux où l’infraction a été commise, procéder à des perquisitions et saisies, ordonner des expertises, entendre les victimes et témoins, etc. Je recherche la vérité. Dans ce cadre, je dois examiner tant les éléments favorables à l’inculpé que les éléments qui lui sont défavorables. On parle à ce propos d’enquête « à charge » et « à décharge».
Dans la pratique, cependant, je n’exerce pas directement et à tout moment la plupart de ces facultés. Je les délègue à la police judiciaire dans le cadre de commissions rogatoires.
Qu’est-ce qu’une commission rogatoire ?
Dans le contexte Guinéen, la commission rogatoire est une forme de réquisition par laquelle un Magistrat délègue ses pouvoirs à un autre Magistrat ou à un Officier de Police Judiciaire(OPJ) pour accomplir à sa place un ou plusieurs actes d’information déterminés.
Après votre travail ?
À l’issue de l’instruction, je prends de nombreuses ordonnances :
Par exemple une ordonnance de renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement, si j’estime qu’il existe à l’encontre de l’inculpé des charges suffisantes. Dans le cas contraire, je rends une ordonnance de non-lieu, c’est-à-dire déclarant à l’issue de l’instruction qu’il n’y a pas lieu de poursuivre soit parce que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction, soit parce que l’auteur de l’infraction est resté inconnu, soit parce qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre le prévenu. Trois choses l’une.
Au cours de l’instruction ou en exécutant mes devoirs d’enquête pour découvrir les auteurs de l’infraction, rassembler des preuves et prendre des mesures afin de porter éventuellement l’affaire devant le tribunal, je suis amené à prendre des décisions juridictionnelles. Par exemple, lorsque je place un individu sous contrôle judiciaire ou que je refuse de procéder à un acte demandé par une partie, je décide alors par ordonnance motivée, prise après réquisition du ministère public. Ces ordonnances sont notifiées aux parties et à leurs conseils, qui peuvent en interjeter appel, c’est-à-dire contester l’ordonnance devant le second degré de l’instruction qui est la chambre d’accusation.
Lorsque j’estime que mon enquête est terminée, je transmets le dossier au procureur de la République par voie d’ordonnance pour que celui-ci prenne ses réquisitions.
En votre qualité de Juge d’Instruction, Etes-vous vraiment libre de mener les enquêtes ?
Objectivement, je suis libre d’investir comme je l’entends. Personne ne peut me donner d’ordres et je suis libre de mener les investigations que je juge utiles. J’avoue qu’en ma qualité de Juge d’Instruction, bien entendu dans l’exercice de mes fonctions, le Président de la République ne peut pas me donner des ordres à plus forte raison un ministre, concernant quelqu’un d’autre, riche, proche ou influent il n’en est pas question !
Cette indépendance n’est pas sans contrôle : il y a plusieurs règles applicables. D’abord, « j’instruis à charge et à décharge ». Je dois également instruire dans un délai raisonnable, ce qui me donne souvent la faculté de faire des choix et d’écarter certaines enquêtes. Les parties, peuvent demander que je procède à des investigations. Je peux refuser mais dois justifier ce refus par décision motivée, laquelle est susceptible d’appel.
Vous venez de dire que vous n’avez pas d’ordre à recevoir de quiconque mais votre indépendance d’exercer votre fonction de Juge d’Instruction n’est effective que quand la justice tout entière est indépendante ce faisant, selon vous, que faut-il faire pour qu’il ait une justice indépendante, impartiale et forte ?
N’allons pas plus loin, il convient incontestablement d’avoir non seulement un pouvoir judiciaire indépendant mais aussi un corps de magistrats indépendant et impartial.
L’indépendance et l’impartialité constituant deux principes fondamentaux de tout système judiciaire, viennent garantir aux justiciables que l’acte de juger sera seulement déterminé par les arguments du débat judiciaire, en dehors de toute pression ou de tout préjugé.
L’indépendance de l’autorité judiciaire est consacrée par la Constitution.
Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.
La justice est rendue exclusivement par les Cours et Tribunaux selon l’article 107 de notre constitution. C’est pour dire que cette indépendance résulte non seulement de la séparation des pouvoirs, mais aussi des garanties statutaires qui mettent les magistrats à l’abri des pressions ou menaces qui pourraient peser sur leur faculté de juger.
S’agissant de l’impartialité, elle désigne l’absence de préjugés qui doit caractériser le juge. En ce sens, l’indépendance concerne plutôt les rapports du juge avec les autres pouvoirs et constitue une condition (nécessaire mais pas suffisante) de son impartialité dans ses rapports avec les justiciables.
L’indépendance et l’impartialité des magistrats du siège sont avant tout garanties par la spécificité de leur statut : bien qu’étant des agents publics, les juges ne sont pas des fonctionnaires et ne sont, par conséquent, pas soumis à l’autorité hiérarchique d’un ministre. Ils sont inamovibles, et leurs décisions ne peuvent être contestées que dans le cadre de l’exercice des voies de recours comme je l’ai dit plus haut.
De plus, une autorité constitutionnelle, le Conseil supérieur de la magistrature, assure la gestion de leur carrière.
Afin de garantir l’impartialité des magistrats, la loi prévoit certaines incapacités de juger, par exemple en cas de lien de parenté entre plusieurs magistrats d’une même juridiction, ou entre un magistrat et un avocat ou une partie. Il existe en outre une procédure de récusation permettant aux parties de mettre en cause la partialité suspectée d’un juge.
L’Article 109 de notre constitution est très claire «Les magistrats ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi.
Les magistrats du siège sont inamovibles dans les conditions déterminées par la loi.
Les magistrats du siège, du Parquet et de l’Administration centrale de la Justice sont nommés et affectés par le Président de la République, sur proposition du Ministre de la Justice, après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature».
Toute nomination ou affectation de Magistrat sans l’avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature est nulle et de nul effet.
Quelle conclusion pouvez-vous tirez de cet entretien ?
Tout en vous remerciant, j’avoue que la justice, un des piliers de la démocratie, encadre la vie du corps social. Elle est complexe et elle évolue sans cesse. Elle doit à cet effet s’adapter à la reforme dans le but de vaincre de la manière la plus efficace et la mieux appropriée l’injustice.
Pour le bien de la patrie, chacun doit y contribuer pour qu’elle soit indépendante impartiale et forte.
Je vous remercie Monsieur Diawara !
Daouda Yansané
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