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3 mandat : Edmond Jouve, ami français du président Alpha Condé lui demande de partir…

Juriste sans frontières pour les uns, mercenaire en col blanc pour les autres… Depuis 40 ans, le constitutionnaliste français Edmond Jouve prodigue ses conseils dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie, du Burkina Faso à la Corée du Nord en passant par la Libye. Peut-on essayer de rendre présentable le régime du colonel Kadhafi sans s’exposer au feu de la critique ? Aujourd’hui, aux éditions Édicausse, le professeur publie ses mémoires sous le titre Edmond Jouve, passeur d’avenir. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Dans cette interview à la Radio RFI, Edmond Jouve s’interroge d’abord sur le bilan des dix ans du président Alpha Condé à la tête de l’Etat. Il lui demande enfin de céder sa place à un autre au terme de son mandat constitutionnel.

RFI : Pendant quarante ans, vous avez apporté vos conseils de juriste sur le continent africain. Quels sont les pays où vous pensez avoir laissé une empreinte ?

Edmond Jouve : Il y a essentiellement le Burkina Faso, puisque j’ai aidé à faire la Constitution qui est encore en vigueur. Une Constitution, d’ailleurs, qui a été faite en partie dans mon village à Nadaillac-de-Rouge. Un jour, on mettra une plaque.

Dans le sud-ouest de la France…

Absolument. Ensuite, j’ai proposé d’instituer une deuxième chambre, un Sénat. Et à partir de là, toute une série de pays, qui n’osaient pas faire cet ajout à leur Constitution, l’ont fait, en disant : il n’y a pas de raison que nous, on n’ait pas de Sénat. En vérité, il faut dire que cette deuxième chambre, aujourd’hui, on est en train de la supprimer ici ou là.

Oui, parce que beaucoup considèrent que c’est un luxe dans un pays pauvre.

Absolument. C’est d’ailleurs ce qu’on m’avait dit, mais je crois que cela a rendu service à un moment donné, parce qu’il y avait beaucoup de problèmes au Burkina à résoudre. Le président [Blaise Compaoré] m’avait fait appeler et m’a dit : « J’ai des problèmes avec d’anciens chefs d’État, avec les femmes… Avec beaucoup de monde ».

Qu’il fallait caser quelque part ?

Eh bien voilà ! Ensuite, ici ou là, évidemment, au gré des étudiants que j’ai formés, j’ai donné des conseils pour l’Afrique du Sud, même la Namibie, la Mauritanie, le Togo…

Mais dans des pays comme le Togo ou la Corée du Nord, est-ce que vous n’avez pas apporté surtout vos conseils à des régimes fâchés avec la démocratie et qui voulaient ravaler leur façade ?

Il y a toujours un risque. Mais celui qui m’a défendu, c’est celui qui a fait la préface de mes mémoires « Passeur d’avenir ». C’est François Hollande, qui m’a dit : « Mais au fond, on vous reproche quelquefois d’aller dans ce type de pays où les autres ne vont pas, mais vous ne faites que votre travail de juriste, d’observateur, de politiste… ». Je crois que j’ai un peu aussi permis que ces pays soient un petit peu plus ouverts sur le monde. Par exemple, en Corée du Nord, en effet, où j’ai fait dix-sept voyages. Il est vrai que je suis allé un peu partout où on m’a dit d’aller et je n’ai pas fait de refus, sauf pour une question de principe. Pour le Chili de Pinochet, à un moment donné j’ai dit que je n’irai pas. Et sauf, aussi, pour l’Afrique du Sud.

Du temps de l’apartheid…

Du temps de l’apartheid… J’ai dit : « Je viendrai lorsqu’il n’y aura plus d’apartheid ».

Vous n’êtes pas le seul constitutionnaliste qui a œuvré en Afrique. On pense notamment à Charles Debbasch, au Togo. Du coup, vous avez mauvaise presse. Dans son livre « Les sorciers blanc  : Enquête sur les faux amis français de l’Afrique » aux éditions Fayard, notre collègue Vincent Hugeuxvous appelle – Debbasch et vous – « les mercenaires en col blanc ».

Oui, les mercenaires, cela voudrait dire qu’on a des sous. Mais là, il me rend quand même justice en disant : Emond Jouve, personne ne dit jamais qu’il est un homme d’argent. Non, nous allons aider dans la mesure où on nous demande de le faire et puis voilà. Alors, est-ce que finalement cela ravale ? Oh, je n’irais pas jusque-là, je crois que ma modeste personne ne suffirait pas à cela. Mais c’est vrai que la question s’est posée plus d’une fois.

N’avez-vous pas fait le lifting constitutionnel d’un certain nombre de régimes pas très recommandables ?

On a parlé à un moment donné de la Tunisie…

La Tunisie de Zine el-Abidine Ben Ali ?

Oui, j’ai donné des avis gratuitement, contrairement à ce qu’a dit un autre journaliste qui était fils d’un ami qui travaillait à l’époque au Canard enchaîné.

En fait, vous avez plus voyagé et prodigué vos conseils par idéalisme tiers-mondiste que par appât du gain ?

Oui, je crois qu’on peut le dire comme ça. Non, des gains, vous savez, il n’y en a pas beaucoup dans ce genre d’affaires.

Dans votre livre, vous dites que vous êtes allé vingt fois en Libye à l’invitation du colonel Kadhafi et aujourd’hui encore vous écrivez que vous avez été impressionné par son magnétisme, son charisme… Mais n’a-t-il pas massacré des milliers d’opposants ? N’a-t-il pas violé des centaines de jeunes femmes dont beaucoup ont témoigné depuis sa chute ?

Oui, certainement, il y a des reproches de ce genre à faire, mais j’ai été guidé un petit peu par la même chose. Il demandait de donner des avis sur la Constitution qu’il avait envie de refaire. Il m’a envoyé sa fille comme étudiante en doctorat…

Aïcha… À la Sorbonne…

Aïcha, la jolie Aïcha… Oui, à la Sorbonne, et elle a travaillé de manière très sérieuse. Et voilà. C’est ainsi que je suis. Les observations dont vous faites l’écho, je les connais parfaitement. Et on dit que je suis idéaliste, que je suis tiers-mondiste, que je suis ceci et cela… C’est un peu une réponse, le titre de mes mémoires « Passeur d’avenir ». J’ai eu le souci d’ouvrir quelques voies nouvelles. Et les voies nouvelles avec les pays qui sont les plus défavorisés, les pays du tiers-monde.

En juin 2011, en pleine guerre de Libye, vous vous rendez une dernière fois à Tripoli en compagnie du professeur d’extrême droit Jean-Claude Martinez et de l’avocate Isabelle Coutant-Peyre, l’épouse du terroriste Carlos. Est-ce que ce tiers-mondisme que vous revendiquez ne vous a pas amené à fréquenter des gens qui sont à l’exact opposé de vos convictions ?

Absolument. Je dis que c’était une délégation un peu éclectique, un peu étrange. Bien entendu, est-ce qu’il fallait y aller ? Est-ce qu’il fallait ne pas y aller ? J’ai estimé qu’il fallait y aller. Et voilà.

Est-ce que, pour le soutien Kadhafi, vous n’avez pas accepté de fréquenter des gens qui étaient à l’opposé de vous-même ?

Oui, mais je n’ai pas soutenu Kadhafi ! Je mets au défi de trouver des textes de soutien à Kadhafi.

Vous avez quand même écrit en 2004 : « Mouammar Kadhafi dans le concert des Nations ». C’est un livre qui rend hommage à l’action politique du numéro un libyen de l’époque, non ?

Oui, si on veut… Mais je crois avoir contribué, dans ce cas particulier, à le remettre un peu – je ne sais pas si d’ailleurs nous avons bien fait, cela lui a coûté cher –, mais à le remettre dans la communauté internationale. Alors, évidemment, lui-même ne s’est pas trop méfié et cela lui a coûté sa vie. Non, durant toute ma vie j’ai essayé dans ces livres que vous évoquez de le montrer, j’étais mû par la curiosité, par essayer d’aller voir sur place ces gens dont on parlait.

Et dont on parlait mal…

Dont on pouvait parler mal, oui.

Vous êtes un anticonformiste, en fait ?

Oui, je pense que je l’ai montré. Au début, cela ne m’a pas toujours aidé dans ma corporation, vous vous en doutez.

Dans la corpo des profs de droit…

Absolument, c’est ce que je voulais dire. Mais finalement, à la fin du fin, on a estimé qu’au fond j’étais aussi fréquentable que d’autres.

Mouammar Kadhafi, Blaise Compaoré… Est-ce que vous ne vous êtes pas mis au service des perdants de l’histoire ?

Oui, je me suis mis au service de ceux qui ont été renversés, mais d’autres aussi ont été renversés ou d’autres le seront. Et je me souviens du compliment, le meilleur, quand j’ai fait mon dernier cours en 2005. Je sortais de l’amphithéâtre à l’Université Paris Descartes et je vois une étudiante qui me croise et me dit : « Monsieur, je voudrais vous remercier ». Je dis : « C’est gentil, mais me remercier pourquoi ? » Elle m’a dit : « Votre cours… On voit que vous parlez de choses que vous connaissez ».

Vous avez été un prof de terrain ?

Oui, un prof de terrain, je suis allé voir sur place. Et ce n’est pas en allant voir qu’on souscrit au régime en place. Non. Et tout cela est arrivé à ce petit élève de l’école publique de Nadaillac-de-Rouge. Récemment, le président François Hollande a bien voulu reconnaitre que j’avais rendu des services éminents, entre guillemets, à la République, et m’a remis la plus haute distinction, la Légion d’honneur. C’est-à-dire qu’il m’a fait Commandeur. D’autres certainement le méritaient autant que moi, mais en tout cas j’ai eu ce témoignage et il m’a dit : « Pour vous – cela m’a presque arraché une larme – les choses n’étaient pas gagnées d’avance. Vous veniez d’un petit village, d’une petite famille de paysans… »

Oui, votre père était agriculteur…

Agriculteur… Et tout cela en hommage à mes parents, j’ai voulu leur montrer que je ne désertais pas le village qui m’avait vu naître.

Dans votre carrière, vous avez rencontré à de nombreuses reprises Alpha Condé, qui est devenu depuis le président de la Guinée. Que vous inspire son action politique ?    

D’abord, Alpha Condé était un ami. Nous avons été professeurs assistants, ensemble, à l’Université Paris 1. J’étais très impressionné par l’action qu’il a menée à la FEANF, la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France. Il était un grand révolutionnaire. Aujourd’hui, le problème se pose de savoir, évidemment, s’il va accomplir un nouveau mandat. Cela me laisse un petit peu perplexe.

Est-ce que cette volonté d’un certain nombre de présidents de briguer un troisième mandat n’est pas un mauvais coup à la démocratie ?

Oh, mauvais coup, oui et non. La démocratie, cela ne se résume pas à une limitation de mandat. Si on est un bon président, pourquoi ne pas persévérer ? Maintenant, je reconnais que c’est mieux de faire un certain temps et ensuite de laisser la place. Ne serait-ce que parce que chacun fait un petit peu à sa manière et peut apporter des choses nouvelles au pays qu’il aspire présider. Alors s’il fallait dire oui ou non, je dirais non. Il vaut mieux limiter les mandats.

Source: RFI