Tandis que l’opposition et la société civile en Guinée ont fait part de leurs préoccupations concernant une proposition de révision constitutionnelle qui pourrait permettre au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat en 2020, le gouvernement a réprimé les libertés de réunion et d’expression.

Le gouvernement a interdit pratiquement toutes les manifestations de rue, et les forces de sécurité ont arrêté des dizaines de manifestants et ont dispersé les manifestations à l’aide de gaz lacrymogènes et, parfois, de balles réelles. Au moins 17 personnes auraient été tuées par les forces de sécurité lors de manifestations en octobre et novembre, et des manifestants ont tué au moins un gendarme. Six activistes de la société civile menant l’opposition à une nouvelle constitution ont également été arrêtés et emprisonnés en octobre. Plusieurs journalistes ont été arrêtés pour diffamation et brièvement détenus pour avoir critiqué le gouvernement.

Le gouvernement n’a guère progressé dans l’enquête sur des dizaines de meurtres illégaux présumés qui se sont produits lors de manifestations au cours de la dernière décennie. La condamnation en février 2019 d’un capitaine de police a marqué la première fois qu’un membre des forces de sécurité a été tenu responsable de la mort d’un manifestant depuis l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé en 2010. En novembre, le ministre de la Justice a déclaré que le procès longtemps retardé des responsables du massacre du stade de 2009 aurait lieu au plus tard en juin 2020.

Liberté de réunion

Le gouvernement a en grande partie continué d’appliquer une interdiction des manifestations de rue datant de juillet 2018, invoquant des risques pour la sécurité publique. Les opposants à une nouvelle constitution ont été particulièrement visés par les interdictions de manifester, notamment trois manifestants arrêtés à Coyah en mars, une dizaine de membres du parti Bloc libéral le 5 avril, sept manifestants à Kindia — initialement condamnés à trois mois d’emprisonnement mais libérés en appel — et 40 personnes arrêtées le 13 juin à N’Zérékoré après qu’une tentative des forces de sécurité pour disperser une manifestation de l’opposition a provoqué des affrontements intercommunautaires. Les personnes arrêtées à N’Zérékoré ont été détenues jusqu’au procès qui s’est tenu le 20 juin, date à laquelle 22 d’entre elles ont été condamnées pour atteintes à l’ordre public.

La répression des manifestations s’est intensifiée en octobre, le gouvernement ayant interdit puis dispersé violemment des manifestations anti-constitution tenues durant trois jours, du 14 au 16 octobre. Neuf dirigeants de la société civile ont été arrêtés le 12 octobre, et six d’entre eux ont été inculpés le 22 octobre pour avoir organisé les manifestations et condamnés à une peine de 6 à 12 mois d’emprisonnement. Des dizaines de manifestants ont également été arrêtés, détenus pendant plusieurs jours, puis relâchés ou condamnés à une amende.

Le gouvernement a finalement autorisé plusieurs manifestations anti-constitution à partir du 24 octobre, bien que le désaccord sur le déroulement d’une manifestation le 14 novembre ait provoqué des affrontements entre manifestants et forces de sécurité. Cinq activistes anti-constitution ont également été arrêtés à Kindia le 14 novembre. Les partisans du gouvernement ont organisé une manifestation rivale le 31 octobre.

Abus commis par les forces de sécurité

Au moins 11 manifestants auraient été abattus par les forces de sécurité lors de manifestations du 14 au 16 octobre. Des manifestants ont tué un gendarme le 14 octobre. Les forces de sécurité auraient abattu 3 personnes lors d’un cortège funèbre organisé le 4 novembre pour commémorer les morts des manifestants d’octobre. Les forces de sécurité auraient abattu 3 autres manifestants le 7 novembre. Un étudiant manifestant aurait également été tué par les forces de sécurité à Labé le 31 mai.

Des protestataires arrêtés lors de manifestations en mai, juin, octobre et novembre ont accusé la police et la gendarmerie de voler de l’argent, des téléphones et d’autres biens.

En juillet, l’Assemblée nationale a adopté une loi sur l’usage de la force par la gendarmerie qui pourrait mettre les forces de l’ordre à l’abri de toute éventuelle poursuite en justice pour meurtre illégal. La loi exige que la force ne soit exercée que lorsque cela est nécessaire et proportionné, mais sans souligner explicitement que les armes à feu ne peuvent être utilisées que lorsqu’existe une menace de mort ou de grave blessure.

Également en juillet, l’Assemblée nationale a adopté une loi antiterroriste contenant plusieurs dispositions susceptibles de menacer les droits humains, portant notamment sur la détention prolongée en garde à vue, et sur de vagues délits pour « apologie du terrorisme ».

Justice pour le massacre du stade de 2009

Dix ans après que les forces de sécurité ont tué plus de 150 sympathisants de l’opposition pacifiques et violé des dizaines de femmes, dans un stade le 28 septembre 2009, les responsables n’ont toujours pas été jugés. Les juges guinéens enquêtant sur le massacre ont inculpé 14 personnes, dont Moussa Dadis Camara, alors dirigeant de la junte militaire qui gouvernait la Guinée en septembre 2009, et des individus qui occupent toujours des positions de pouvoir comme Moussa Tiegboro Camara, en charge de la lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé. En août 2019, un comité directeur, créé en août 2018 pour organiser le procès, a confirmé la Cour d’appel de Conakry comme lieu du procès. Le ministre de la Justice, Mohammed Lamine Fofana, a déclaré en novembre que le procès aurait lieu au plus tard en juin 2020.

Responsabilité pour les crimes passés

À l’exception d’une poignée de cas, l’impunité a largement perduré pour les violations des droits humains commises dans le passé. Il n’y a eu aucun procès pour au moins une douzaine de meurtres présumés de manifestants par les forces de sécurité lors de manifestations en 2018, non plus que pour des protestataires tués lors de manifestations en 2019. Il n’y a pas non plus eu de procès pour le meurtre de manifestants avant et après les élections présidentielles de 2015 et les élections législatives de 2013 ; pour le meurtre de six hommes en 2012 dans le village minier du sud-est de Zoghota ; ni pour le meurtre en 2007 par les forces de sécurité de quelque 130 manifestants non armés.

Le 4 février 2019, un tribunal a condamné le capitaine de police Kaly Diallo pour avoir abattu un manifestant en août 2016. Cependant, l’affaire a été entachée par des accusations de la part d’organisations de défenses des droits humains pour des preuves insuffisantes. Malgré des dizaines de meurtres illégaux présumés par des forces de sécurité lors de manifestations depuis 2010, l’affaire était la première condamnation d’un membre des forces de sécurité pour avoir tué un manifestant.

En février 2019, un tribunal a condamné un capitaine d’une unité de police d’élite à six ans d’emprisonnement pour avoir torturé un détenu en 2016, ce qui avait été filmé sur téléphone portable et largement partagé.

Le procès de l’ancien gouverneur de Conakry, Sékou Resco Camara, et de l’ancien chef de l’armée, Nouhou Thiam, pour avoir torturé en 2010 plusieurs détenus de l’opposition, qui s’est ouvert en avril 2018, a été reporté à plusieurs reprises.

Liberté d’expression

Les menaces à la liberté des médias, qui se sont multipliées ces dernières années, se sont poursuivies en 2019 ; plusieurs journalistes ont été arrêtés puis libérés pour leur couverture critique du gouvernement.

Le journaliste Lansana Camara a été arrêté le 26 mars pour diffamation, pour avoir accusé un ministre du gouvernement de corruption. Il a été libéré sous caution le 2 avril. Mohammed Bangoura, directeur d’un site d’actualités en ligne, a été arrêté le 1er juillet pour diffamation après que son site a publié une lettre d’opinion d’un politicien de l’opposition. Deux dirigeants du groupe de médias The Lynx ont été arrêtés le 19 avril, puis libérés sous caution, pour avoir diffusé une interview d’un dissident du parti au pouvoir.

Un homme politique de l’opposition, Faya Millimouno, a été arrêté le 2 août pour diffamation, pour avoir accusé un ministre du gouvernement d’avoir participé à une rébellion de 2000. Il a été libéré sous caution le 9 août.

Système judiciaire et conditions de détention

Le système judiciaire a continué de faire face à divers dysfonctionnements, notamment le manque de salles d’audience adéquates et d’autres infrastructures matérielles, ainsi que le manque de personnel et de ressources pour mener des enquêtes et des poursuites pour les violations des droits humains et autres crimes.

Les prisons et les centres de détention guinéens fonctionnent bien en deçà des normes internationales, avec un surpeuplement important dû à une dépendance excessive à la détention préventive, à une gestion médiocre des affaires et à l’incapacité des tribunaux à siéger régulièrement. Le plus grand centre de détention du pays à Conakry restait surpeuplé avec de mauvaises conditions sanitaires. En juillet 2019, un bâtiment construit pour 300 personnes abritait 1 492 détenus.

Expulsions forcées

Entre février et mai 2019, le gouvernement guinéen a expulsé de force plus de 20 000 personnes des quartiers de Conakry pour fournir des terres aux ministères du gouvernement, aux ambassades étrangères, aux entreprises et d’autres travaux publics. Le gouvernement n’a pas donné de préavis adéquat à la plupart des personnes expulsées, ni fourni aucun logement de remplacement pour les maisons démolies.

Ressources naturelles

Les ressources naturelles de la Guinée, notamment l’or et la bauxite, ont été l’un des principaux moteurs de la croissance économique. Le secteur de la bauxite a continué de se développer rapidement dans les régions de Boké et de Boffa, entraînant la perte de terres pour des milliers d’agriculteurs au profit de l’exploitation minière, souvent pour une compensation insuffisante, et endommageant des sources d’approvisionnement en eau vitales dans la région.

Le gouvernement a commencé le déplacement d’environ 16 000 personnes pour faire place au barrage hydroélectrique de Souapiti. Si le barrage augmentera potentiellement l’accès à l’électricité en Guinée, les villages déplacés jusqu’à présent n’ont pas reçu de compensation suffisante pour leurs terres, ni une assistance adéquate pour obtenir des moyens de subsistance alternatifs.

Principaux acteurs internationaux

À la suite de la répression d’octobre des manifestations contre une nouvelle constitution, les Nations Unies, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union européenne et les États-Unis, ainsi que plusieurs États européens, ont publié des déclarations réitérant l’importance de la liberté de réunion et expression.

Le 25 octobre, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a condamné le recours excessif à la force par les forces de sécurité et l’arrestation des organisateurs de manifestations. L’ambassadeur de Russie, qui dispose d’importants investissements financiers dans le secteur de la bauxite, s’est prononcé ouvertement en faveur d’un troisième mandat de Condé en janvier, suscitant les critiques de la société civile guinéenne.

Le bureau de la Représentante spéciale des Nations Unies sur les violences sexuelles en période de conflit, ainsi que l’équipe d’Experts sur l’État de droit et les violences sexuelles dans les conflits, ont continué de plaider en faveur de la justice pour les viols et les crimes commis lors du massacre du stade de 2009. La Cour pénale internationale (CPI) a également continué de jouer un rôle positif important dans la promotion de l’enquête sur les événements du 28 septembre 2009, par le biais de ses relations avec les autorités guinéennes.