Au lendemain de la publication de la loi organique n°L/2011/008/CNT du 14 juillet 2011, portant organisation et fonctionnement de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains, beaucoup de juristes et de défenseurs des droits de l’homme s’étaient étonnés de l’écart qu’il y avait entre le texte discuté et adopté par le Conseil National de Transition et celui qui a été inséré dans le Journal Officiel. Cette altération manifeste de la volonté des conseillers n’avait pas semblé émouvoir outre mesure le Pouvoir qui avait maintenu ce texte qui ne correspondait pas du tout à celui transmis à la Présidence de la République.
En effet, non seulement la composition de l’INIDH avait été revue à la hausse afin d’y mettre le maximum de personnes sur lesquelles l’État pouvait exercer un contrôle, mais plus grave, il a été accordé aux membres de l’institution issus de l’Administration une voie délibérative en violation des Principes de Paris.
Maître Pépé Antoine Lama, Avocat au Barreau de Guinée, vient d’alerter l’opinion sur une situation similaire mais à une échelle plus importante encore puisqu’il s’agit, cette fois-ci, non pas d’une loi ordinaire ou d’une loi organique mais de la norme suprême, de la loi fondamentale du pays : la Constitution.
En comparant les dispositions du projet de constitution publié au Journal Officiel (numéro spécial de janvier 2020) et le texte supposé avoir été adopté par le peuple de Guinée par référendum le 22 mars dernier et publié au Journal Officiel du 14 janvier 2020, on relève des différences notoires sur des questions substantielles.
À titre d’exemple, on prendra les dispositions de l’article 42. Dans le projet de constitution soumis au référendum du 22 mars 2020, ce texte dispose :
«Tout candidat à la Présidence de la République doit être de nationalité guinéenne, jouir de ses droits civils et politiques, d’un état de bonne santé certifié par un collège de médecins assermentés par la Cour constitutionnelle quarante jours au moins et soixante jours au plus avant la date du scrutin. Trente-neuf jours avant le scrutin, la Cour constitutionnelle arrête et publie la liste des candidats. Les électeurs sont alors appelés par décret».
Dans le texte publié au Journal Officiel, voilà ce qu’on peut lire relativement à l’article 42 :
«Tout candidat à la Présidence de la République doit :
– être de nationalité guinéenne ;
– jouir de ses droits civils et politiques ;
– justifier le parrainage des électeurs déterminé par le code électoral ;
– être d’un état de bonne santé certifié par un collège de médecins assermentés par la Cour constitutionnelle.
Les candidatures sont déposées au Greffe de la Cour constitutionnelle quarante (40) jours au moins et soixante (60) jours au plus avant la date du scrutin. Aucune candidature n’est recevable si elle n’est présentée par un parti politique légalement constitué ou par une coalition de partis politiques.
Chaque parti politique ou coalition de partis politiques ne peut présenter qu’une seule candidature.
Trente-neuf (39) jours avant le scrutin, la Cour constitutionnelle arrête et publie la liste des candidats. Les électeurs sont alors appelés aux urnes par décret»
Chacun pourra ainsi constater la nette différence tant en la forme que dans le fond entre les termes du même article dans le projet de constitution et dans la constitution publiée au Journal Officiel.
Dans le texte publié au Journal Officiel et qui n’est pas celui qui a été soumis à la consultation populaire, pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut deux conditions supplémentaires :
– Justifier le parrainage des électeurs
– Être présenté par un parti politique ou une coalition de partis politiques.
Cela signifie clairement que l’absence de candidature libre qui avait été reprochée à la Constitution du 7 mai 2010 a été réintroduite dans la « nouvelle constitution » alors que le projet censé avoir été adopté par voie référendaire ouvrait désormais la voie à des candidatures Indépendantes. Par ailleurs, le projet de constitution ne parle nullement de système de parrainage contrairement au texte publié au Journal Officiel. Il est tout de même curieux que la possibilité des candidatures qui avait été l’un des arguments phares des partisans du changement de constitution n’ait été en fin de compte qu’une tromperie.
D’ailleurs, les citoyens ont été abusés sur un nombre de plans. En effet, il avait été reproché à la constitution du 7 mai 2010 une pléthore d’institutions jugées budgétivores. Mais contre toute attente, toutes ces logiques ont été reprises par la « nouvelle constitution ».
On a reproché au CNT de s’être substitué au peuple. De s’être attribué la souveraineté populaire en adoptant en lieu et place du peuple, un texte qui ne lui a pas été soumis. Mais ce qu’ont fait certains est encore plus grave. Ils ont substitué leur volonté à celle du peuple préalablement exprimée. Autrement dit, si les membres du CNT n’ont pas soumis la constitution de 2010 à l’approbation du peuple, les autres ont tout simplement travesti la volonté du peuple.
En lisant et relisant très attentivement la version de la constitution publiée au Journal Officiel, il n’est pas exclu qu’on relève d’autres altérations de nature à remettre en cause la crédibilité de cette » nouvelle constitution » qu’on a tant vantée.
Si le précédent relatif à la loi organique régissant l’INIDH avait été pris au sérieux et réglé de façon exemplaire, il est certain que l’on aurait pas assister à la répétition du même phénomène. Comme quoi, qui vole un œuf, volera un bœuf.
A Suivre !
Maître Mohamed Traoré