Présidentielle en Guinée : « Sans médiation ni gouvernement d’union nationale, personne ne peut diriger le pays »
Depuis la commune bruxelloise d’Ixelles où il est élu local, l’ancien champion du monde de boxe belgo-guinéen Béa Diallo s’inquiète de la montée de tensions en Guinée. En marge d’un voyage à Conakry fin août, il a encouragé les acteurs politiques à s’inscrire dans le dialogue. Entretien.
TV5MONDE : Vous êtes allé en Guinée il y a un mois et demi pour une médiation. Considérez-vous qu’il s’agisse d’un échec ?
Béa Diallo : Je suis allé en Guinée fin août, dès que les frontières ont pu s’ouvrir, avec un seul objectif : mettre en place une médiation anticipée. Pourquoi ? Parce que je sentais déjà beaucoup de tensions, de clivages dans les différents partis. Je sentais que si on allait aux élections dans ce contexte là, il allait y avoir le chaos. Tout ce qu’on avait anticipé est en train de se produire, de manière bien plus grave que ce que j’avais imaginé. Il y a déjà plusieurs morts.
Je ne dirais pas que c’était un échec parce que j’ai réussi à montrer aux Guinéens qu’il était possible de se parler. A l’origine, le pouvoir était très enthousiasmé par ma démarche. Ils disaient qu’ils étaient ouverts au dialogue, sans doute parce qu’ils pensaient que l’opposition allait refuser. Quand j’ai réussi à mettre les opposants autour de la table, ils ont refusé de venir en réaffirmant leur volonté de garder le calendrier et d’aller aux élections. Le résultat était prévisible, n’importe qui se serait présenté aurait perdu contre Alpha Condé. Pourtant une partie de la population était prête à un changement.
La communauté internationale aurait dû avoir un rôle à jouer ?
Absolument. La tension était palpable depuis longtemps, il y a eu des signaux d’alerte. Il y a eu déjà plusieurs morts depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir.
Vous savez, j’étais en Guinée fin 2009 après les turpitudes avec les militaires. Je suis allé faire des propositions, j’ai dialogué avec les gens et j’ai parlé à tous les acteurs politiques, que ce soit Cellou Dalein Diallo, Alpha Condé, ou Sydia Touré.
e leur ai dit que la meilleure chose qu’ils puissent faire pour les cinq années à venir, c’est de ne pas organiser des élections mais de mettre en place un gouvernement d’union nationale où ils seraient tous dedans, et où ils mettraient en place des dynamiques, des bases pour le pays, qui est sorti de beaucoup de souffrances depuis 1958. Et après la mise en place de ces bases, ils pourraient aller aux élections en 2015. Mais chacun d’entre eux m’a répondu « c’est à mon tour d’être président ». Il y avait une entente commune pour mettre les militaires dehors et pour organiser des élections libres et indépendantes et quand on est arrivé à ce stade, ils se sont tous dit « chacun pour soi !« .
Pouvez-vous rappeler dans quel contexte se sont déroulées les élections guinéennes ?
Quand les gens se sont rendu compte qu’Alpha Condé voulait briguer un troisième mandat -lui ne parlait de troisième mandat mais de premier mandat de la nouvelle République- il y a en réaction eu un mouvement, le FNDC, qui s’est mis en place en Guinée. Un mouvement créé d’une part par la société civile mais aussi par les partis d’opposition. C’est toujours un peu le problème : quand des partis d’oppositions se mettent dans un mouvement comme celui-ci, la situation se réduit vite à une confrontation opposition contre majorité en place. Alors qu’il y avait vraiment un engouement de la société civile pour un élan démocratique dans le pays.
Alpha Condé est passé en force : il a organisé des élections législatives en mars alors qu’on était en plein Covid et qu’il y avait un confinement en Europe. Il a mis en place un double scrutin le même jour, le 22 mars, pour pousser les gens à voter pour le changement de constitution. Et, par conséquent, pouvoir briguer un troisième mandat. Ces votes ont été boycottés par l’opposition historique, donc le taux de participation n’a pas été très élevé. Par la suite, l’opposition a refusé de participer aux élections présidentielles d’octobre, mais finalement au dernier moment, l’UFDG de Cellou Diallo, parti le plus important de l’opposition, a décidé de se lancer pour tenter sa chance en se disant « on va le combattre dans la rue, on va le combattre aussi dans les urnes ».
Quelle est la part de responsabilité d’Alpha Condé dans les violences actuelles ?
Alpha Condé a une véritable responsabilité dans les violences qui secouent le pays aujourd’hui. Il parle beaucoup de son bilan, il dit qu’il a ramené des personnes qui ne venaient plus en Guinée, qu’il a mis en place des infrastructures… mais la chose la plus importante c’est l’apaisement. Surtout aujourd’hui alors qu’on est dans une dynamique où il y a de telles tensions. Des jeunes ont la haine contre ceux d’une autre communauté. On a créé de l’ethnocentrisme dans ce pays, et cela me fait extrêmement peur.
Ce sentiment d’ethnocentrisme concerne même des gamins, pas seulement des adultes. Il y a des confrontations qui sont en train de se mettre en place qui sont effrayantes. C’est pour cette raison que j’ai appelé la communauté internationale, l’ONU, les Etats-Unis, la Russie… J’ai dit qu’il fallait une intervention pour mettre en place une médiation pour aboutir à un gouvernement d’union nationale, parce que la Guinée ne peut pas être dirigée par un clan ou par un autre. La Guinée doit ressembler au peuple guinéen. Si l’on ne met pas une dynamique en place, le pays ne sortira jamais de tout ce qu’il traverse depuis 1958.
Comment envisager ce 3e mandat ?
C’est compliqué. Ce que je demande à Alpha Condé c’est de se mettre autour d’une table pour discuter avec tous les acteurs, pas seulement Cellou Diallo ou Sidya Touré. Je souhaite que des acteurs de la société civile soient impliqués et entendus, mais aussi des religieux. A chaque fois qu’il y a eu des compromis, cela s’est passé entre politiques, et à chaque fois on s’est rendu compte que ce n’était pas dans l’intérêt du peuple. Il faut qu’il y ait une implication de tous les acteurs dans le dialogue afin de sortir une feuille de route pour que le pays sorte de la situation actuelle. Si l’on ne fait pas cela, que ce soit Alpha Condé ou Diallo, personne ne pourra diriger ce pays.
Quelles perspectives d’avenir pour la jeunesse guinéenne ?
« Vous savez les jeunes Guinéens aujourd’hui préfèrent se sacrifier, jeter des cailloux et se faire tirer dessus parce qu’ils ont le sentiment qu’il n’y a aucun avenir dans le pays. Ils préfèrent prendre des bateaux en Méditerranée, avec le risque de devenir esclaves en Libye, arriver en Europe avec le risque de se faire renvoyer en avion dans le pays, mais même en sachant tout cela ils préfèrent quitter la Guinée. Cela me fait très peur. Chez les mineurs demandeurs d’asile, les Guinéens sont les premiers en Belgique et en France. La Guinée n’est pas un pays en guerre ou dans lequel on meurt de faim, c’est un pays qui a une richesse incroyable. Comment ne peut-on pas, avec tout cela, ne pas arriver à proposer une perspective d’avenir à ces jeunes ? »