Grande Interview : Nous voulons protéger les monuments et sites historiques. Immortaliser nos artistes, écrivains et rechercher nos œuvres d’art spoliées pendant la période coloniale (Mohamed Kaba)
Mohamed Kaba est un spécialiste guinéen en Développement qui vit aux Etats Unis. Constatant la forte dégradation de nos sites et monuments, il s’est engagé à créer avec ses compatriotes le SYMEG dont le lancement officiel est prévu pour le 15 Janvier prochain, à Dubréka, à 50 km de Conakry.
Pour en savoir davantage sur ce projet, nous avons joint Mohamed Kaba, Président de l’ONG- SYMEG au téléphone, depuis le pays de l’Oncle Sam. Exclusif…. !
Bonsoir Monsieur le président. Pouvez-vous vous présenter brièvement et présenter votre ONG à nos lecteurs ?
Mohamed Kaba : Je suis Monsieur Mohamed Kaba, Enseignant et spécialiste en Développement. Avant, j’ai fait le Lycée Samory Touré de Kankan et la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Gamal Nasser de Conakry. Par la suite, je suis devenu professeur d’Histoire au Lycée Sainte Marie de Conakry.
En 1997, je suis allé à Genève où j’ai fait un diplôme d’Etudes Supérieures en Développement
Aux Etats Unis d’Amériques, j’ai fait beaucoup de choses.
En fait, j’ai créé plusieurs ONG. Quand je prends Afrique Leman Transfert de nouvelles technologies, notamment les ordinateurs de la Suisse vers les pays africains, surtout vers la Guinée.
Ensuite, une autre COLORADO HOPE FOR AFRICA qui avait pour objectif de drainer l’aide médicale vers nos pays, entre autres.
Maintenant, comment l’idée est venue de créer l’ONG, le SYMEG ?
Le SYMEG, c’est le Symposium Mémoriel de Guinée. C’est venu l’année passée. C’est à la suite d’une certaine frustration par rapport au fait que notre pays ne rend pas hommage à ses grands hommes. Surtout, à ses hommes de culture. C’était à la suite du décès du Professeur Djibril Tamsir Niane. Nous avons estimé qu’on ne lui a pas rendu les hommages dus à son rang. Si on attendait que le gouvernement guinéen fasse tout, peut-être que ça n’aurait jamais eu lieu ! Aussi, il y a eu la question de nos sites historiques. Nous savons qu’il y a de grands sites négriers dans notre pays.
Vous enchaînez alors avec les objectifs de votre ONG ?
Justement, les objectifs du SYMEG, c’est la protection des sites historiques et touristiques guinéens.
Egalement, c’est de reconnaître nos grands hommes culturels : Que ce soit au niveau livresque (historiens, écrivains…). Au niveau aussi des grands musiciens. Nous avons nos grands orchestres et chansonniers. Des grandes vedettes comme Fodé Conté, Kouyaté Sory Kandia, Aboubacar Demba Camara etc. Une légion de grands hommes qui ne sont pas reconnus dans le pays.
Malheureusement, depuis que l’ancien régime est parti, la jeunesse s’est rabattue sur autre chose que de revaloriser ce que nous avons déjà eu comme héritages. Pourtant, si nous ne les mettons pas en valeur, je ne crois pas que des gens qui viendraient ailleurs le feraient pour nous.
Nous pensons que vous avez mis du temps, avant d’initier un tel projet. Qu’est-ce qui le bloquait pour que vous attendiez jusqu’à Octobre 2021 ?
En ce qui me concerne personnellement, le fait que je sois éloigné du pays, cela a dû jouer quelque chose. Sinon, ici au Colorado, nous avons essayé de mettre en valeur la culture africaine, alors qu’à la source, elle est entrain de mourir chez nous.
Le second aspect est que quand je suis rentré au pays en 2015, j’ai fait un constat tout à fait amer sur le terrain. Je voyais que les aspects politiques prenaient de l’ascension sur tout ce qui pouvait être culturel. Au fond, il n’y avait autre chose dans le pays que de la politique. J’ai tenté de m’impliquer, mais je me suis rendu compte qu’on est entrain de se perdre d’une certaine manière.
Vous envisagez, par ailleurs, de répertorier les sites et monuments historiques de notre pays ?
Evidemment, on ne peut pas essayer de revaloriser nos sites sans les connaître. Donc, je pense qu’au niveau du ministère de la Culture, on doit avoir un certain répertoire de ces sites. Mais ce n’est pas connu du tout. Il faut repartir sur le terrain pour faire le constat, recenser et faire l’historique de tous ces sites afin de les sauvegarder et les mettre en valeur.
Nous voyons que c’est un grand projet. Est-ce que votre département de tutelle est prêt à vous accompagner ?
Il faut savoir que le SYMEG est un organisme non gouvernemental. Je sais que la participation de nos membres sera assez limitée par rapport à nos projets. Mais après la reconnaissance du SYMEG, nous allons faire appel à des pays comme les USA qui financent tous les sites historiques à travers le monde. Ce qui veut dire que la Guinée ne devrait pas rester en marge de leurs projets. Pour ne pas dire leurs priorités.
Une question par rapport à cet aspect. Puisque vous êtes basé aux Etats Unis, vous avez certainement pris des contacts dans ce sens ?
De toutes les façons, eux, ils accompagnent tout le monde dans ces genres de projets. Ils appellent. Moi-même je suis étonné que la Guinée soit extrêmement liée à l’histoire des USA, et qu’on n’en profite pas. Sinon, tout RIO PONGO foisonne de sites où beaucoup d’esclaves sont originaires. L’Etat de Virginie par exemple est rempli de noirs d’origine guinéenne. Aussi, dans le MISSIPITI, presque tous les grands Etats au sud ce sont des noirs. Et les pays qui prennent ça au sérieux en profitent aujourd’hui. Quand vous prenez les pays francophones, le salon du Sénégal et du Cameroun.
Les pays anglophones qui en profitent davantage, c’est le Ghana.
L’année passée a été choisie comme l’année de retour des noirs américains au Ghana. Aujourd’hui, sur le plan du business, de l’économie et du tourisme, ce pays en profite. Ici, en Guinée, nous sommes timides par rapport à ce qui pourrait être avantageux pour le pays.
Si les ministères de la Culture prennent du temps pour intervenir, je pense que le SYMEG peut jouer ce rôle. Je veux dire que le SYMEG a l’intention de jouer ce rôle, si nous sommes accompagnés par les autorités, toutes les bonnes volontés et les chancelleries, les USA, l’UNESCO, l’Espagne, l’Italie, la France et d’autres pays.
Puis, il y a autre chose. C’est la récupération des œuvres d’art. Le Benin est en avance sur ce plan. Avant, en 1997, quand j’étais à Genève, il y avait le musée où les masques africains étaient exposés. Les gens payaient pour aller regarder. La dernière fois dans mes lectures, j’ai été surpris de voir que le sabre qui avait été offert au fils de Samory Touré, Karamo, qui était envoyé en France, était encore en France quelque part. On ne sait même pas où ?
Et nous avons beaucoup de choses qui sont éparpillées à travers le monde.
Nous trouvons intéressant votre projet. Qu’est-ce qu’on peut retenir dans le cadre précis des œuvres guinéennes à nous restituer. On parle du Sosso Balla ?
Le Sosso Balla est classé patrimoine historique et culturel de la Guinée et versé au patrimoine culturel mondial de l’UNESCO. N’est-ce pas !
A part le Sosso Balla, il y a l’histoire du Nimba où il y a les crapauds géants. Je dirais que la Guinée est un scandale culturel. Je prends juste un exemple : L’emblème culturel de Guinée qui est le Nimba, ce statut qui est d’origine Baga, la Guinée en a pris comme emblème je dirais national, même si ce n’est pas officiel. Je pense que la Guinée devrait en faire la demande auprès de l’UNESCO pour que ce soit classé comme œuvre culturelle de Guinée au patrimoine mondial et reconnue telle. Mais tout le monde s’en empare et ce n’est pas protégé.
Que ce soit des chansons, des masques qui sont exploités. La dernière fois, j’ai appris qu’il y a l’un de nos masques qui a été vendu à des millions d’Euros quelque part en France. Nous devrons avoir des retombées de cela. Juste un exemple. Il y a beaucoup d’autres choses qu’on pourrait exploiter. Peut-être qu’en travaillant avec le ministère, le SYMEG pourra faire beaucoup de choses.
Pas seulement avec le ministère de la Culture, mais il y a celui de Environnement qui doit vous intéresser quand on parle de menaces des sites dans les zones minières?
Je vous informe que j’ai une formation multidisciplinaire. Historien à la base, mais aussi j’ai fait des études du développement. En dehors de l’économie, il y a l’écologie.
Aujourd’hui, le réchauffement climatique est la chose la plus horrible que l’humanité est entrain de craindre. Dans nos pays, quand on dit forêt sacrée, ça veut dire qu’on a déjà un respect humain pour la nature, donc pour la forêt. Et qu’il y a certaines choses qu’on doit éviter de faire.
Mais aujourd’hui, on en a tellement fait que c’est devenu un problème. Peut-être que nos autorités en parlent. Mais il y a peu d’actions dans ce sens. Sous le régime qui vient de passer, avec les exploitations minières de Boké, on voyait que ce pays était entrain de mourir. Non seulement les conséquences sur le plan sanitaire sur les populations avec de la poussière rouge partout, les hôpitaux ne sont pas équipés pour pouvoir les protéger en soins.
Ensuite, la nature est entrain d’être dégradée de façon désorganisée. C’est comme si on exploitait un pays étranger. Ce qui intéresse, c’est de tirer les richesses. Le reste n’est pas important. Ici, il y a une collision entre le culturel et l’écologie. Puisque je suis spécialiste des deux, je me sens interpellé.
Le Tourisme ne doit pas être ignoré, ou bien ?
On ne peut pas parler de toutes ces choses sans parler du Tourisme. C’est-à-dire vous n’allez pas répertorier, sauvegarder, refaire vivre les sites et les abandonner.
Si par exemple nos chancelleries faisaient un certain lobbying de nos sites ici aux USA, ça allait drainer chaque année des touristes américains et d’autres du monde entier vers la Guinée. Quand on prend le Sénégal, qu’est-ce qu’il y a là-bas ? L’Etat croit en cela et le pays vit du Tourisme. Quand vous prenez l’île de Goré, nous avons tellement d’îles ici, on pourrait les mettre en valeur du point de vue touristique, c’est même un scandale. Aujourd’hui, le chômage que nous vivons est catastrophique. Le tourisme peut absorber beaucoup de jeunes gens qui sont au chômage. Je ne sais pas s’il y a des guides touristiques dans notre pays ? Ce que nous pensons faire est énorme. Nos objectifs sont nombreux et nous voulons de l’aide du gouvernement, toutes les autres bonnes volontés, les institutions internationales, les chancelleries, l’UNESCO …
C’est une première en Guinée. Nous avons ici des mouvements cultuels et autres, mais c’est à côté de l’essentiel. Le SYMEG veut entrer au cœur de ces problèmes.
Vous voulez réveiller le ministère de la Culture qui est un département toujours laissé pour compte ?
,Malheureusement, depuis Zainoul, le premier ministre de la Culture avec le régime de Lansana Conté, la Culture n’a pas été quelque chose d’essentiel.
Je parle du ministère dans notre pays. Plutôt, tout y est politisé. Ce n’est pas parce que quelqu’un a chanté pour l’avènement de je ne sais quoi qu’il faut le mettre dans des positions où il ne peut pas faire grand-chose. Il n’y pense même pas. Il va penser plus à aller auprès du président ou au siège de son parti pour faire des discours sans se pencher sur les problèmes réels pour lesquels il est là.
Le lancement officiel de votre ONG est prévu pour le 15 Janvier prochain à Dubreka. Pourquoi le choix de cette ville ?
D’abord, mon collègue Kéita, c’est mon compère depuis l’Université. Il est professeur à Dubréka, à l’Institut des Arts et Métiers. Quelque part, les choses se rejoignent.
Aussi, Dubréka est remplie de sites touristiques (négriers, des bâtiments coloniaux..).
C’est symbolique que nous choisissions Dubreka comme siège de notre ONG.
Nous associons à cet évènement les autorités de cette ville. Nous avons à disposition des personnes ressources, ne serait-ce que l’Institut qui constitue une ressource énorme. La Guinée doit cesser de s’enfermer dans une certaine médiocrité. Il faut qu’on donne de la valeur à ce que nous avons ici. Quand je prends les œuvres de Tamsir Niane reconnues partout dans le monde entier aux USA et dans les pays francophones et anglophones. L’homme qui aura révélé le moyen âge africain au monde entier à travers ses recherches et se œuvres, surtout à travers l’UNESCO.
Justement, vous avez au programme de célébrer l’an un de sa disparition ?
Nous voulons rendre hommage à ce grand homme. Je pense que ce sera certainement au mois de Mars et nous allons en faire un grand évènement. Il faut voir un Camara Laye qui est pratiquement inconnu. A part quelques élèves qui étudient ses œuvres. Je ne sais même pas si ‘’ l’Enfant Noir’’ est au programme. Mais la case, la construction familiale de cet homme qui peut attirer des milliers de personnes est entrain de mourir à Kouroussa.
C’est ce que nous citons. Il y en a d’autres. A Diguiraye, la mosquée. Le Fouta, je ne peux pas en parler. Nous avons des cases des différents Al mamys qui se sont succédé. Nous y avons des sites naturels. A Dalaba, j’ai été en 2005. J’ai pleuré. J’ai été devant la maison de Miriame Makéba à Pita, mais c’est le domaine des animaux. J’ai regardé par la fenêtre. Tout est pourriture à l’intérieur. Ce n’est pas possible. Il y a une villa qui a été rénovée, mais ça ne sert à rien, alors qu’on pourrait l’exploiter énormément.
J’ai visité une forêt des sapins. Ils sont entrain d’abattre tous les arbres. Il n’y a aucun contrôle. Finalement, qu’est-ce qu’on fait pour ce pays ? Il n’y a aucune loi. Si ce n’est pas la politique, c’est la politique. Ce n’est pas la politique qui fera de nous ce que nous sommes. Nos ancêtres ont travaillé avant qu’on ne soit là. Il faut le mériter. Voilà des raisons pour lesquelles nous voulons mettre en place cette structure. Si nous pouvons faire quelque chose, nous le ferons.
Avez-vous un mot à l’endroit des nouvelles autorités, particulièrement qu’attendez-vous de votre département ?
D’abord, nous demandons une prise de conscience des autorités elles-mêmes. Ensuite, nous voulons qu’elles nous aident à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Egalement, de leur demander de ne pas laisser pour compte la Culture et le Tourisme en Guinée. Autant les mines apporte à la Guinée des richesses, autant la culture peut le faire.
La culture est plus vaste que ce qu’on pense. Ce ne sont pas que les chansons. Nous le faisons pour le pays et pour nos progénitures pour l’avenir de ce pays pour son développement culturel, social et économique. Nous voulons emmener les guinéens vers le patriotisme, vers l’éthique du travail. C’est à nous de faire quelque chose pour nous-mêmes. Pas les autres. Eux, quand ils viennent, c’est pour prendre ce qu’ils veulent pour s’en aller.
Voyez comment nos enfants sont entrain de fuir pour aller mourir à travers les déserts ou dans la méditerranée, ou aller faire de l’esclavage à l’extérieur. On va dire qu’il n’y a rien dans ce pays. Pourtant, il y a beaucoup de choses à faire ici, il suffit d’avoir la volonté.
Interview réalisée
Par Bamba Bakary Gamalo