Dans la nuit du 4 septembre 2021, un groupe de militaires appartenant aux « forces spéciales » prend le pouvoir en Guinée en mettant en état d’arrestation l’ancien président de la République, Alpha CONDE.
Le communiqué du Ministère de la Défense nationale et les tirs nourris autour du palais de la présidence dans la matinée du 5 septembre font craindre des combats sanglants et une épreuve de force dans la durée. Mais la déclaration du premier responsable de cette unité d’élite de l’armée, les images diffusées sur les réseaux sociaux de l’ancien président, la mine défaite, le regard vide dans une tenue non soignée, surun canapé et plus tard dans une voiture aux vitres baissées dans la zone de Bambetto et la déclaration sur les antennes de la Radiotélévision Nationale (RTG) du commandant des forces spéciales confirment le renversement du régime d’Alpha CONDE.
Après plus de 100 jours au pouvoir, la classe politique, les citoyens et la communauté internationale ne savent toujours pas ni la durée, ni le chronogramme de la transition. Pourquoi cette absence sur le chronogramme et la durée de la transition ? Pour moi, et c’est le chœur du présent article, le CNRD possède une feuille de route cachée, un schéma de la transition et un délai de la transition qu’il cherche à faire endosser par le Conseil National de Transition (CNT) qui est son instrument central dans sa stratégie.
Dans la réalité, le CNRD souhaite avoir une transition de 5 ans pour, estime–t–il, terminer le mandat de l’ancien Président de la République. La logique du CNRD est d’estimer que « la classe politique avait accepté les 6 ans de l’ancien président »et après une année dudit mandat, cette classe politique devrait accepter que le CNRD fasse les 5 années qui restent. Après tout, dit-il, le CNRD a débarrassé la classe politique d’un adversaire qu’il n’arrivait pas à dégager en dépit des manifestations et des violences des 10 années de son règne et de la quasi–insurrection d’une partie du pays à la suite du référendum et de l’élection présidentielle pour un 3ème mandat.
Dans l’impossibilité d’avoir les 5 années, le CNRD se verraitbien avec une transition de 3 ans. Pour tester l’accueil de cette durée de 3 ans par la classe politique, Dansa KOUROUMAavait porté la voix de cette durée. Les réactions non concertées de Lansana KOUYATE, sur le délai de la transition, et de Badiko BAH sur la marginalisation de la classe politique, indiquent un début de prise de conscience de la classe politique. C’est dans ce cadre qu’il faut situer la mise en garde du numéro 2 de l’Alliance Nationale de l’Alternance Démocratique (ANAD) au CNRD, les déclarations de deux coalitions de partis politiques qui demandent la désignation d’un médiateur international et d’un cadre de dialogue avec le CNRD.
Comment le CNRD compte faire pour obtenir une durée de 3 ans au minimum et de 5 ans au maximum tout en faisant semblant de ne pas être l’auteur de cette décision ?Plusieurs pistes ont été pensées par les stratèges venus de la diaspora guinéenne en France qui gravitent autour du CNRD.
Pendant que le RPG était KO debout, l’opposition politique, en particulier l’ANAD, euphorique, suite à l’arrestation de l’ancien président et le FNDC content de voyager dans des avions sans frais, de se faire loger, nourrir et blanchir pour la première fois de leur existence, le CNRD pense s’être donné les moyens d’obtenir une transition longue au travers dequatre stratégies :
On commence par des dossiers de détournements, comme au Mali voisin, pour soulever la clameur populaire dans les quartiers populeux et parmi les communicants récupérés au sein des partis politiques et ainsi obtenir que ces « jeunes »manipulés disent, comme sous Alpha CONDE en son temps, « laisser le CNRD terminer son travail ».
C’est au nom de la refondation et de cette moralisation de la chose publique qu’un organe de plus « la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières » (CRIEF) a été mis en place. Même si elle ne fait rien et ne fera probablement rien en raison des connivences des anciens et des nouveaux dirigeants dans la prédation de l’économie, elle aura le mérite d’être une épée de Damoclès sur la tête des anciens dignitaires pour obtenir leur silence pendant, au moins les premières années de la période de la transition.
Avec son CRIEF, le CNRD va juger certains des voleurs, les plus petits, les moins protégés, les plus inintelligents dans le vol, les derniers voleurs de la gouvernance d’Alpha CONDE, mais ni les gros voleurs, ni ceux qui ont volé avant de s’offrir la virginité en quittant la sphère du pouvoir avant le 5 septembre 2021 ne seront jugés.
Je peux prédire qu’après le passage du CNRD au pouvoir, il laissera à la Guinée et aux guinéens d’autres voleurs, plus rapaces, car plus jeunes, plus fougueux avec l’argent et le sexe comme ce fut le cas avec les fameux 518 d’Alpha CONDE.
Ce pessimisme sur le futur proche de la Guinée me vient du populisme ambiant du CNRD qui fait de la théâtralisation de tous les sujets en caressant les uns et les autres dans le sens des poils, un coup à gauche, un autre à droite pour satisfaire les uns et les autres et en maintenant le peuple en haleine par des nominations tous les soirs (après le dadishow, maintenant c’est le doumboushow) avec comme mécanisme leremplacement : « un d’une communauté va, on trouve un autre de la même communauté pour le remplacer Et ceux qui n’avaient rien n’ont toujours rien ».
Pour ceux qui n’ont rien compris et qui pensaient à l’unité nationale des premiers jours, il est temps de se réveiller : « au lieu de rechercher la qualité, on fait de l’équilibrisme déséquilibré » : Voilà l’unité nationale selon le CNRD.
Le fait de fixer le nombre des membres du CNT à 81 personnes avec une clé de répartition qui lèse manifestement la classe politique (15) tout en imposant des entités qui ne possèdent aucune représentativité en dehors de quelques cercles restreints de Conakry, le CNRD a réussi le coup de maître.
Au nom de l’inclusion de toutes les composantes, le CNRD se donne la possibilité de faire envoyer au CNT des hommes et des femmes qui ne sont rien, qui ne représentent personneet ont des activités professionnelles temporaires et des revenus irréguliers et largement insuffisants, probablement inférieur au SMIG, à qui il sera accordé des salaires, des primes et des avantages qui seront de l’ordre de 40 000 000 GNF mensuel (salaire, carburant et autres primes desession). C’est une première dans le monde du travail que de demander à « un chômeur qui trouve de l’emploi combien de temps il souhaite travailler avant de retourner au chômage ».
Ces personnes, dès qu’elles verront les avantages financiers et matériels offerts aux membres du CNT, elles feront des projections qui, pour terminer sa maison, pour acheter un terrain, pour envoyer ses enfants à l’étranger ou se marier à une 2ème ou 3ème épouse. C’est à cette grande majorité de personnes nécessiteuses qu’il sera demandé la durée de la transition. Naturellement, la réponse est connue : la date proposée nuitamment et en cachette par le CNRD sera validée, justifiée et soutenue par les griots des temps modernes (journalistes alimentaires, bloggeurs et autres activistes des « Individus Non Gouvernementaux » (ING).
Dans cette activité populiste, le CNRD sait que dans toutes les sociétés, il existe une tendance au parricide des adolescentsqui pensent se libérer de la tutelle parentale pour jouir de leurcorps, de leur liberté et du patrimoine accumulé des parents.
Pour dompter cette jeunesse désabusée, désœuvrée et mal formée, le CNRD a ciblé les instincts primitifs des guinéens en exhibant et faisant huer les membres du gouvernement sortant à l’esplanade du Palais du Peuple, en mettant à la retraite, de façon théâtrale, les généraux dans les services de sécurité et les cadres de haut niveau dans l’administration, histoire de dire aux jeunes : « je dégage les vieux et je vous fais de la place ».
Pour s’assurer de la loyauté sans faille de l’équipe gouvernementale, le CNRD a inventé la notion de recyclagepour ne désigner dans le gouvernement que des personnes qui n’ont jamais dirigé plus de 5 personnes à la fois : « Ils n’ont rien eu dans leur vie, n’étaient rien et doivent tout au CNRD ».
Alors que la transition est traditionnelle courte, le CNRD a préféré mettre des « apprentis administratifs » et même des quasi-analphabètes aux commandes de l’État. Lorsqu’on a vu les textes produits par eux avec plus de 9 fautes sur une page, on comprend qu’il n’y a pas « une école d’expérience, mais l’expérience est une école qui ne s’improvise pas et qui exige d’avoir un enseignant et du temps d’apprentissage ».
Pour que ce gouvernement puisse avoir des résultats, il faudra qu’il apprenne à écrire correctement une correspondance, qu’il sache élaborer un plan et le mettre en œuvre. Au sommet de l’État (gouvernement), on collecte des données, on les analyse, on élabore un plan d’action avant de mobiliser les ressources et assurer sa mise en œuvre.
Beaucoup de guinéens se trompent en pensant que travaillerdans un projet et/ou programme des institutions internationales (FAO, Banque Mondiale, UNICEF etc.) est une qualité suffisante pour diriger un ministère ou un gouvernement. Les projets et les programmes sont conçus par d’autres experts (ceux qui sont spécialistes en planification) lors de plusieurs missions sur le terrain avec énormément de duplicata d’un pays à un autre.
Les Guinéens devraient savoir que les projets et les programmes des institutions internationales préparent desconducteurs de train sur des rails. Pour ce conducteur de train, il n’y a que 2 possibilités : « ça avance et/ou ça s’arrête », alors qu’avec l’État, il faut apprendre à conduire un véhicule mécanique : « ça avance, ça s’arrête, ça peut reculer et même tomber dans un ravin ».
C’est d’ailleurs la prise de conscience de la faiblesse du niveau général des membres du gouvernement qui explique lanomination de secrétaires généraux un peu plus compétents que leur ministre. Et pour accentuer le désordre institutionnel, les secrétaires généraux comme les ministres ont été caporalisés par le port de la tenue militaire et le court séjour dans le camp des Forces Spéciales à Forécariah.
Désormais, ces secrétaires généraux se disent vice-ministres et demain ils seront en opposition avec leur ministre d’autant plus que les uns et les autres ont été nommés dans les mêmes conditions : des CV tronqués, tous des majors au baccalauréat et des postes occupés à l’étranger non vérifié.
Un regard sur les CV des dirigeants de la transition confirme la falsification de leur parcours professionnel : Un éboueur dans les rues de Paris devient expert des questions d’assainissement, un ancien vigile et/ou garde pénitencier se désigne comme expert en sécurité préventive ou en géopolitique sécuritaire et une ancienne baby-sitter dans le quartier de Manhattan se dit protectrice de l’enfance au siège de l’UNICEF à New–York, un agent intermittent devient consultant et un NO 5 dans le système des Nations-Uniesdevient un haut fonctionnaire. Bref, tous les chômeurs et en emploi précaire deviennent ceux qui dirigent la République et la transition.
La nomination de certains anciens chômeurs à la tête de certains ministères clés (juste des frimeurs des chaudes nuits de Conakry) ne s’explique que par cette logique : celle de réunir dans le CNT des nécessiteux, des copains, des amis et des parents. Des personnes qui auront deux mandats : une durée prolongée de la transition et des Lois scélérates qui n’auront comme but que de disqualifier la classe politique actuelle, en particulier Cellou, Sydia, Kouyaté, Kassory, Damaro et Diané.
Certains des acteurs politiques juniors (Siaka BARRY, Yéro BALDET, Mory KABA) et même certains plus âgés, moins de 70 ans, c’est-à-dire ceux sans base électorale et qui ne possèdent que leur bouche pour parler et leur âge comme atout à exhiber, seront mandatés pour fabriquer ces Lois qui disqualifieront une catégorie d’acteurs politiques : ceux qui ont eu le tort d’être nés un peu plus tôt et ayant une base électorale.
Enfin, tous les actes posés par le CNRD, les propos tenus, les hommes qui gravitent autour d’eux et ceux choisies pour des postes de responsabilités participent d’une même logique :rester le plus longtemps possible. Voilà la feuille de route cachée du CNRD.
Naturellement, mon devoir est fait : alerter l’opinion nationale et internationale sur le projet politique du CNRD. Les guinéens peuvent, car ils sont souvent euphoriques, et très peu rationnels, en particulier dans le fief de l’opposition, décidés de garder le CNRD comme ils l’ont fait pour le CMRN de Lansana CONTE. Comme en 1984, les Guinéens peuvent se laisser berner encore par le CNRD avec la refondation qui est un projet politique non défini et dont les bases ont été ratées dès le 5 septembre.
Cette transition ne doit durer que 18 mois au maximum, comme au Mali et au Tchad, avec 3 mandats simples :
Si pour une raison ou une autre cette transition dure plus de ce temps les guinéens se réveilleront après quelques années dansun pays qui n’a ni refondé son État, ni une gouvernance vertueuse, ni un système politique démocratique.
Source: Guineematin