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Future constitution : le discours de vérité de l’Association des Magistrats de Guinée au CNT

Monsieur le Président du Conseil national de la transition.

Mesdames et Messieurs les Membres du CNT.

Je m’appelle Abdoulaye Israël KPOGOMOU, Secrétaire général de l’Association des Magistrats de Guinée (AMG),

Je substitue à cette tribune Monsieur Mohamed DIAWARA, Président de l’association, invité aux États-Unis d’Amérique dans le cadre d’une conférence internationale.

L’Association des Magistrats de Guinée (AMG) répondant à l’invitation du Conseil National de la Transition (CNT) dans le cadre du débat d’orientation constitutionnelle, a l’honneur de remercier par ma voix, Monsieur le Président du CNT et les honorables conseillers nationaux pour cette initiative qui est une première dans l’histoire de notre jeune démocratie.

En effet, ce processus méritoire permet aux guinéens de se prononcer sur le contenu de la future constitution.

 

C’est pourquoi, l’Association des Magistrats de Guinée (AMG), soucieuse de l’indépendance du Pouvoir judiciaire, souhaite apporter sa contribution sur l’organisation dudit pouvoir.

 

Toutefois, elle considère que des corporations non des moindres, ont déjà donné leurs avis sur les autres thématiques, elle va donc mettre l’accent sur le pouvoir judiciaire et des institutions juridictionnelles.

 

Du pouvoir judiciaire et des institutions juridictionnelles :

 

Il est important de noter que dans tous les États modernes dotés d’une véritable démocratie, le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.

 

En Guinée, la justice est un Pouvoir à ne pas confondre avec un corps professionnel, c’est pourquoi le Pouvoir judiciaire mérite d’être indépendant des deux autres pouvoirs.

 

Exercée par les Cours et Tribunaux, cette indépendance résulte de la séparation des pouvoirs, telle que formulée ou conçue par Montesquieu, John LOCK, Jean Jaques ROUSSEAUX et d’autres grands théoriciens de cette pensée positive.

 

La composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) qui doivent obéir aux règles de la séparation des pouvoirs et de son autonomie sont fixés par une loi organique.

 

De la même manière que les deux autres pouvoirs ne sont entravés, ni bridés en aucune manière, de même il est convenable de renforcer son indépendance et non la fagoter par des représentations copiées-colées ou modèles importées.

 

Les Magistrats sont ainsi nommés par le Président de la République, sur proposition du Garde des sceaux, Ministre de la justice et des droits de l’Homme, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

 

A cet égard, L’AMG, recommande vivement au CNT de modifier certaines dispositions de la loi organique L/054/CNT/2013 portant statut des Magistrats en ce qui concerne notamment le mode de recrutement des Magistrats et de nomination des chefs de juridictions et de parquets. Le recrutement et la nomination doivent tenir compte des critères de compétence, de probité morale, d’expérience et de personnalité. C’est pourquoi, une procédure d’appel à candidature serait judicieuse.

 

A défaut de promouvoir l’appel à candidature pour la nomination des chefs de juridictions et de parquets, l’AMG recommande qu’ils soient nommés, sur proposition du Garde des sceaux, Ministre de la justice et des droits de l’Homme, après avis conforme du CSM, mais de surcroit il faut ajouter une dernière étape qui est l’approbation des nominations par le parlement.

L’intérêt de cette innovation est de permettre à la Représentation nationale de mener des enquêtes de moralité et de personnalité autour des Magistrats devant occuper ces postes de responsabilité.

 

Il est aussi important de mettre l’accent sur l’indépendance des Magistrats du parquet en mentionnant clairement dans la future loi organique portant statut des Magistrats, que le Ministre de la justice ne peut donner des instructions directement qu’aux Procureurs généraux, et tout Procureur de la République qui exécuterait un ordre directement reçu d’un Ministre de la Justice, soit passible non seulement de poursuite pénale pour parjure mais aussi de mesures disciplinaires.

 

Ainsi l’exécution des instructions et injonctions du Ministre de la justice obéiront aux dispositions de la loi relative à la compétence des Procureurs de la République, des suites à donner ou à réserver aux plaintes et dénonciations.

 

Cela permettra de mettre fin à une mauvaise habitude de certains Gardes des sceaux qui consiste à court-circuiter les Procureurs généraux et s’adresser directement aux Procureurs de la République et parfois aux Magistrats du siège.

 

Il est également important et judicieux de subordonner les parquets généraux au parquet général de la Cour suprême pour une meilleure coordination et un meilleur suivi des activités de ces parquets. Car il est inconcevable que le Procureur général de la Cour suprême soit celui qui, en termes de notation, apprécie les activités des Procureurs généraux alors que ces derniers ne lui sont pas subordonnés.

 

Prévoir la formation continue et la spécialisation des Magistrats compte tenu de l’évolution du droit.

 

Prévoir dans la future loi organique portant statut des Magistrats, des mesures concrètes pour assurer leur protection ainsi que celles des membres de leurs familles.

 

Prévoir la construction des infrastructures judiciaires et pénitentiaires adéquates afin d’améliorer les conditions de travail du personnel de la justice.

 

Prévoir également, en termes d’avantages en nature, la construction des logements de service dans une cité destinée à cet effet, afin de mettre les Magistrats à l’abris de la vie commune avec les autres citoyens, ce qui pourrait avoir pour conséquence : la familiarité, la tentation et la compromission entre autres.

 

Prévoir en outre la dotation des chefs de juridictions et de parquets en véhicules de service. Mettre en place une couverture maladie obligatoire pour tous les Magistrats, leurs épouses et leurs enfants.

 

Prévoir enfin une formation militaire pour tous les Magistrats ainsi que le droit de port d’arme.

 

A/De la Cour suprême :

 

La Cour suprême est la plus haute juridiction de l’État en matière judiciaire et administrative.

 

Elle est juge en premier et dernier ressort, de la légalité des textes réglementaires et des actes des autorités exécutives,

 

Elle connait des décisions de la Cour des comptes par voie du recours en cassation.

 

Elle connait, par la voie du recours en cassation ou en annulation, des décisions des Cours et Tribunaux relatives aux contentieux administratifs de pleine juridiction.

 

En toute autre matière, La Cour suprême se prononce par la voie du recours en cassation des décisions des entités administratives à caractère juridictionnel.

 

Elle est consultée par les Pouvoirs exécutif et législatif sur tous les projets de loi et sur toutes les matières administratives et juridictionnelles.

 

Prévoir une loi organique pour déterminer de manière claire toutes les compétences de la Cour suprême.

 

L’AMG recommande également de prévoir dans la loi organique sur la Cour suprême que l’ancienneté relative à la nomination d’un Magistrat dans cette cour soit fixée à 15 ans au lieu de 20 ans comme dans l’actuelle loi.

 

Cela est dû au fait que les Magistrats de la Cour suprême doivent, dans leur grande majorité, faire valoir leurs droits à la retraite dans les deux prochaines années.  Cela va sûrement avoir pour conséquence directe la nomination dans cette haute juridiction, de jeunes Magistrats de la première et de la deuxième promotion du Centre de formation judiciaire.

 

B/De la Cour constitutionnelle :

 

La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.

 

L’AMG recommande au CNT de renforcer les pouvoirs de la Cour constitutionnelle tels que prévus dans la constitution du 7 mai 2010 et élargir le droit de saisine de cette Cour à tous les citoyens qui souhaitent contester la constitutionnalité d’une loi tant par voie d’action que par voie d’exception.

 

L’AMG recommande que la composition de la Cour constitutionnelle telle que prévue par la constitution du 7 mai 2010 soit maintenue :

 

Que les membres de la Cour constitutionnelle soient sélectionnés par appel à candidature et proposés par le triple vote du CSM, de l’AMG et du Conseil de l’ordre.

 

Prévoir que la candidature, pour deux tiers, soit ouverte à tous Magistrats mentalement et physiquement aptes, à la retraite ou en fonction ayant une compétence retenue d’au moins 20 ans de service, pour un tiers, les Avocats et pour un tiers, les universitaires de la science juridique et judiciaire.

 

C/De la Cour des comptes : 

 

La Cour des comptes est la juridiction de contrôle à postériori des finances publiques. Elle dispose ainsi d’attributions juridictionnelles et consultatives.

 

Elle statue sur les comptes publics, ceux des collectivités territoriales et locales, des établissements publics, des entreprises publiques et parapubliques et de tous organismes et institutions bénéficiant de concours financiers de l’État.

 

L’AMG propose de renforcer les pouvoirs de la Cour des comptes à travers une loi organique.

 

Elle recommande au CNT de préciser les pouvoirs de cette Cour relativement au recrutement de ses membres dans la mesure où une confusion règne actuellement en ce qui concerne le recrutement des auditeurs de cette Cour.

 

L’actuel Garde des sceaux qui confond auditeurs de justice et auditeurs de la Cour des comptes s’est aux dires de son Président, opposé récemment au recrutement d’auditeurs sous prétexte qu’il est le seul à porter un tel projet, ce qui est contraire à l’actuelle loi sur la Cour des comptes.

 

Prévoir également que la Cour des comptes soit composée de Magistrats reconnus pour leur compétence, sur appel à candidature.

 

L’AMG recommande en outre qu’aucun ancien Ministre des finances ou du budget ne soit nommé Président de cette Cour.

 

D/De la Haute Cour de justice :

 

La Haute Cour de justice est compétente pour juger les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions par :

-Le Président de la République en cas de haute trahison ;

-Le Premier Ministre, les autres membres du Gouvernement et Assimilés, le Hauts responsables de l’administration ayant reçu délégation de pouvoirs.

 

L’AMG recommande au CNT de renforcer les dispositions prévues par la constitution du 7 mai 2010, relatives à cette Cour et d’œuvrer pour sa mise en place effective avant la fin de la transition.

 

E/De la réorganisation de l’appareil judiciaire :

 

L’AMG propose le maintien du système actuel avec un seul ordre de juridiction qui connait à la fois du contentieux judiciaire et du contentieux administratif.

 

Elle propose de réitérer dans la nouvelle constitution l’érection de toutes les justices de paix en tribunaux de première instance ainsi que la mise en place de deux Cours d’appel en moyenne Guinée et en Guinée forestière dans le souci de rapprocher la justice des justiciables ; et faire figurer dans l’architecture du parquet et du siège au premier degré, les fonctions suivantes :

 

-Pour le Siège : un Président du tribunal, un Vice-Président, des Présidents de sections et des juges ;

-Pour le Parquet : un Procureur de la République, un Procureur adjoint, des Substituts et un Secrétaire général.

 

Pour la désignation des Magistrats, l’AMG propose le maintien des dispositions de la constitution de 2010 sauf en ce qui concerne les Magistrats de la Cour suprême, les chefs des juridictions et les chefs des parquets comme développé ci-haut.

 

L’AMG recommande d’ajouter deux (2) membres de l’Association des Magistrats de Guinée à la composition actuelle du Conseil supérieur de la magistrature.

 

Elle insiste qu’hormis le Président de la République et le Garde des sceaux, Ministre de la justice et des droits de l’Homme, tous les autres membres doivent impérativement être des Magistrats, dans la mesure où, Il n’est nullement judicieux de faire figurer des représentants d’autres corporations au sein du CSM alors qu’aucun Magistrat n’est membre de conseils de discipline de ces corporations.

 

Par exemple, aucun Magistrat n’est membre des Conseils de discipline de l’ordre des Avocats, de la chambre des notaires, de l’ordre de médecins entre autres.

 

Pour conclure, l’AMG estime que ce débat qui est une première dans notre cher pays, est le moment approprié d’attirer l’attention des honorables représentants du peuple de Guinée ici présents sur les violations flagrantes des lois relatives à la bonne administration du service publique de la justice guinéenne, auxquelles il faut remédier sans délai, dans l’intérêt d’une bonne transition.

 

A cet égard, l’AMG recommande au CNT d’avoir un regard particulier sur la loi organique portant statut des Magistrats, dont les dispositions relatives à la mise en mouvement de l’action disciplinaire sont régulièrement et sciemment violées par l’actuel Garde de sceaux.

 

L’AMG dénonce l’attitude du Garde des sceaux qui est en train de mener sa propre transition dans cette transition avec pour corollaire : la théâtralisation, la désacralisation, la banalisation et l’infantilisation de la justice à travers des actes qui sont contraires à l’esprit du discours de prise du pouvoir par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD).

 

Les publications intempestives des actes de procédures (injonctions) ainsi que des actes administratifs (arrêtés de suspensions des Magistrats) sur les réseaux sociaux, au mépris répété de la loi, la volonté de traumatiser les Magistrats, de les humilier et de les soumettre coûte que coûte, constituent aujourd’hui des indicateurs sérieux qui doivent alerter les autorités de la transition sur la volonté du Garde des sceaux de réécrire l’histoire de la justice guinéenne.

 

L’AMG dénonce les persécutions, les menaces et les chantages au décret effectués contre les Magistrats par le Garde des sceaux et interpelle avec déférence les autorités de la transition sur l’atmosphère délétère et le malaise profond qui règne actuellement au sein de la justice guinéenne qui a urgemment besoin d’un sauvetage.

 

L’AMG, préoccupé par le silence coupable des institutions de la République en particulier le CNT dont le Président a été un acteur important de l’adoption de la loi 054/CNT/2010 portant statut des Magistrats, interpelle respectueusement ce dernier à œuvrer aux côtés de Monsieur le Président de la transition pour sauver la justice qui est actuellement au bord du gouffre.

 

Face à un Garde des sceaux, Ministre de la justice et des droits de l’Homme, auteur de la violation récurrente de certaines lois de la République et peu porté sur les questions des droits de l’Homme, l’AMG a le devoir d’alerter l’opinion national sur les menaces réelles aux conséquences dangereuses qui planent sur l’indépendance de la justice guinéenne.

 

L’exemple le plus éloquent est la persécution que subissent son Président Mohamed DIAWARA et son Secrétaire Général, Abdoulaye Israël KPOGOMOU, arbitrairement suspendus de leurs fonctions et tendancieusement traduits devant le CSM dans un climat de règlement de comptes, en violation flagrante des dispositions de la loi organique 054/CNT/2010 portant statut des Magistrats.

 

L’AMG, au vu de ces précédents malheureux et fâcheux, recommande que les prérogatives de suspension des Magistrats par le Garde ses sceaux soient rigoureusement encadrées par la future loi organique portant statut des Magistrats et subordonnées à un avis préalable du CSM, pour éviter des décisions aux relents de règlements de comptes visant à entacher la carrière des Magistrats méritants dont l’attachement aux valeurs qui incarne la magistrature dérange.

 

Elle suggère qu’aucune nomination ne soit désormais faite par le Garde des sceaux par voie d’arrêté afin d’éviter une instrumentalisation de la justice à des fins personnelles.

 

L’AMG, en tant que sentinelle de l’État de droit et soucieuse de la réussite de cette transition, compte jouer sa partition pour l’avènement d’une nouvelle Guinée unie et prospère avec comme baromètre une justice responsable, vertueuse, professionnelle et respectueuse des droits de l’Homme.  De ce point de vue, elle exprime sa disponibilité de travailler aux côtés de toutes les institutions de la République pour une transition apaisée.

 

Je vous remercie.

 

Conakry le 31 mai 2023

 

Pour l’AMG/son Secrétaire Général

 

 

Abdoulaye Israël KPOGOMOU