Longtemps qualifié de dictateur par  les autorités françaises, le nom  du père de l’indépendance guinéenne Ahmed Sékou Touré a été  mentionné dans une déclaration du diplomate français en poste à Conakry. C’était lors de la fête du 14 juillet.

A propos, il ne sera pas exagérer de dire que soixante-cinq ans plus tard, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts en cette période tumultueuse des relations franco-africaine. La France est bousculée à travers le continent au profil de la Russie de Vladmir Poutine. Centrafrique, Mali, Burkina Faso, Niger, excusez du peu, la liste est longue.

C’est certainement pour ne pas rajouter la Guinée a cette longue liste que le diplomate français s’est soudainement rappelé de cette phrase  du Président Ahmed Sékou Touré qui résiste au temps, ce temps qui donne toujours raison.

Il déclarait ainsi le 25 août 1958 ce qui suit  : « Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir sans hésitation l’interdépendance et la liberté dans l’union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France. ».

 

Discours à l’occasion de la Fête nationale Réception officielle du 13 Juillet 2023

Monsieur le Premier ministre,

Messieurs les Ministres d’Etat,

Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement,

Monsieur le Président du Conseil National de Transition,

Mesdames et Messieurs les Présidents et représentants des Institutions de la République,

Mesdames et Messieurs les membres du corps diplomatique et représentants des institutions internationales, Chers collègues et amis,

Chers Invités, chers amis,

Je voudrais vous remercier d’avoir répondu à notre invitation ce soir. Je dis notre invitation, car Estelle est venue me rejoindre à Conakry et se tient à mes côtés, pour vous recevoir.
Je vous adresse, à toutes et à tous, les amitiés de la France, un salut déférent et affectueux.
Vous êtes ici en France, c’est-à-dire dans un pays ami de la Guinée, depuis bien longtemps.
Vous êtes ici en France, c’est-à-dire chez vous.
Vous êtes ici en France, c’est-à-dire dans un lieu de tolérance et de liberté, de respect des convictions de chacun, où toutes les opinions et toutes les différences sont bienvenues.
Je vous regarde et que vois-je ? Je vois ici rassemblés les autorités de la Transition, des autorités religieuses, des civils et des militaires, des cadres de partis politiques et des représentants des forces vives ; des personnalités connues ou moins connues de la société civile, des entrepreneurs, des femmes, des hommes, des jeunes aussi. Et je pense à la formule de Fernand BRAUDEL, qui écrivait dans l’Identité de la France : « Que la France se nomme diversité… ». Comment ne pas voir, dans cette Guinée du 13 juillet 2023, cette même diversité ?
Mon propos ce soir, que je tenter de concentrer afin de ne pas abuser de votre attention, s’ordonnera selon trois cercles :
l’Afrique ;
la République de Guinée ;
les relations franco-guinéennes.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
I- Sur l’Afrique, l’année écoulée aura confirmé quatre lignes de fond, qui dessinent sans doute un bel avenir pour ce grand continent, à la fois jeune et ancien.
D’abord, la « continentalisation » s’y renforce, c’est-à-dire une tendance de plus en plus marquée aux échanges économiques et commerciaux intra-africains et ce, en dépit de la fragmentation du continent entre 54 États.
Ensuite, l’affirmation politique d’un continent africain trop longtemps objet des relations internationales, soumis à des puissances extérieures, commence à émerger un peu partout, sous diverses formes. On y voit poindre une volonté d’établir de nouveaux équilibres dans les relations avec le reste du monde, un besoin profond et unanime de maîtriser collectivement son avenir. Comme disait Edem KODJO, un ancien Premier ministre du Togo, il est plus que temps, pour l’Afrique, de se représenter comme un sujet à part entière des relations internationales et d’agir en tant que tel.
Troisièmement, la volonté – très perceptible notamment à-travers l’Union africaine – de privilégier l’ouverture tous azimuts, en tournant la page des colonialismes historiques, en privilégiant des partenariats entre égaux, pour relever ensemble des défis communs. Le 6ème Sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne de février 2022 aura bien illustré cette ambition.
Enfin, quatrième tendance, liée à la précédente, le choix délibéré et raisonné, à l’échelle du continent, de partenariats renouvelés, à la faveur d’initiatives – vous me pardonnerez ces accents un peu chauvins

– souvent portées par le Président de la République française, Emmanuel MACRON. Ces partenariats d’un genre nouveau partent tous de besoins majeurs clairement identifiés sur ce continent. Il y a eu les initiatives autour de la vaccination contre la COVID-19, il y a deux ans. Il y a eu l’initiative FARM, pour parer aux risques d’insécurité alimentaire entraînés par l’agression de la Russie contre l’Ukraine, l’an dernier. Et tout récemment, l’Agenda de Paris pour les peuples et la planète, avec à la clé une nouvelle architecture financière en faveur des pays les plus fragiles et souvent aussi, les plus vulnérables aux chocs externes, au changement climatique ou aux conflits.

Bref, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs, l’Afrique est en pleine mutation. Elle se transforme sous nos yeux.
II- Et la République de Guinée, votre pays, le pays qui nous accueille si chaleureusement, n’est pas en reste.
Ahmed SEKOU TOURE, dans son discours historique du 25 août 1958, devant le Général de GAULLE, disait déjà de ce pays :
« La Guinée n’est pas seulement cette entité géographique que les hasards de l’Histoire ont délimitée, suivant les données de sa colonisation par la France, c’est aussi une part vive de l’Afrique, un morceau de ce continent qui palpite, sent, agit et pense à la mesure de son destin singulier ».
Comment ne pas trouver ces propos pleins de vérité et pour tout dire, prémonitoires ?
Car la Guinée semble à la pointe des réflexions de ce continent sur les relations qu’il se propose de nouer avec les pays tiers. Elle a payé, jadis, un lourd tribut à la politique du « tout ou rien ». Elle évolue à présent – après avoir essayé diverses formules – vers une large diversification de ses partenariats internationaux, en dehors de toute passion et de toute idéologie. Elle a montré jadis la voie du panafricanisme et des émancipations. Elle montre aujourd’hui la voie des partenariats pragmatiques, résultant d’une balance d’intérêts, dans ses relations avec le monde.
La singularité de la Guinée s’impose ainsi au grand jour, comme une évidence.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je me garderai bien de distiller des conseils – même si certains médias ou les réseaux sociaux me prêtent, parfois, cette propension – car vous êtes un pays souverain, nous autres Français le savons mieux que quiconque. C’est à la Guinée et son peuple, et elle seule, d’écrire son histoire, de maîtriser son destin, d’emprunter la route qu’elle voudra.
Je me bornerai à partager avec vous quatre convictions.
La première, qui me paraît essentielle en vérité, est que le but premier des institutions, où que ce soit, est de parvenir à une architecture, à un équilibre des pouvoirs et des responsabilités, à une organisation politique capable de résister aux atteintes du temps et des hommes, en d’autres termes, d’échapper à la personnalisation, de s’affranchir d’une incarnation forcément contingente et éphémère. Je ne suis d’ailleurs pas sûr, soit dit en passant, que la France puisse constituer une bonne référence à cet égard, nous qui avons usé pas moins de 15 Constitutions depuis 1791.
Ma deuxième conviction est que la vitalité démocratique, des élections inclusives, transparentes et crédibles, réclament, qu’on le veuille ou non, des partis politiques en ordre de marche, en bonne santé, avec la liberté de mouvement et la plénitude de leurs fonctions, de leurs capacités, adossées à un cadre légal. Il paraît fondamental – pour l’avenir du pays – que le dialogue, le respect mutuel et l’esprit d’ouverture prévalent à cet égard, pour le bon accomplissement de cette Transition. Ce que l’on appelle le « vivre ensemble » est sans doute une notion inclusive, qui repose sur des droits humains et des libertés fondamentales pleinement garantis et respectés, au même titre qu’une Justice solide, impartiale, fondée sur un Etat de droit. Il y a eu des efforts, des signes de bonne volonté, qui donnent espoir, mais il convient de garder Foi et patience pour persévérer dans cette voie.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs,
Ma troisième conviction est qu’une part de l’avenir de ce pays dépendra de sa capacité à trouver le juste point d’équilibre entre unité et diversité, à faire tenir ensemble, harmonieusement, les communautés qui composent cette Nation, où toutes et chacune ont assurément beaucoup à apporter, où le tout est plus grand que les parties. « Unis et décidés, nous pouvons tout avoir », déclarait Ahmed SEKOU TOURE en 1952.
Ma quatrième conviction est que la normalisation de la situation en Guinée passe peut-être, avant tout, par le regard que les Guinéennes et les Guinéens portent sur eux-mêmes. Les motifs de fierté, de confiance en soi, de confiance mutuelle, gages de dignité et de respect, ne manquent pas dans ce pays. La Guinée est pétrie de talents, d’individualités, de potentialités, de richesses et pas seulement minières, humaines surtout. Comment ne pas lui souhaiter d’actualiser sa puissance et de prendre toute la place qui lui revient, dans le concert des Nations ?
III- J’en arrive aux relations franco-guinéennes.
Je suis persuadé – et je vous livre mon for intérieur – que nous avons trop longtemps payé le prix d’une séparation douloureuse et violente en 1958, de part et d’autre.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Ahmed SEKOU TOURE avait déclaré, non sans de solides arguments, lors des discussions préliminaires sur le projet de Communauté entre la France et ses colonies de l’époque :
« Il nous faut un droit au divorce, sans lequel le mariage franco-africain pourra être considéré dans le temps comme une construction arbitraire imposée aux générations montantes ».
Le NON franc et massif de la Guinée à la proposition d’appartenir à la Communauté a alors retenti à la fois comme une exception, comme un acte fondateur et comme le « fait générateur » d’une rupture brutale, profonde et durable.
Le Général de GAULLE, que l’on a connu sans doute plus magnanime et mieux inspiré, aurait même fait répondre à Sékou TOURE : « Un divorce, mais sans pension alimentaire ».
Et il a décidé, dans la foulée du référendum du 28 septembre 1958, le retrait, en quatre mois, des 7000 fonctionnaires français qui travaillaient pour l’Administration de la Guinée ainsi que la cessation de toute aide budgétaire.
Je suis navré de vous infliger ces fragments d’histoire, mais l’Histoire a ainsi fait qu’à un moment précis, à un moment donné, il aura fallu que la Guinée pallie le retrait rapide, systématique et général, de l’ex-puissance coloniale qui occupait quasiment tout son espace ; et dans le même temps, que la France assume la perte totale d’une relation avec un pays ami, considéré comme l’un des plus en vue de l’Afrique de l’ouest.
Je veux seulement vous montrer par-là que nous revenons de loin, de très loin même et que nous avons, 65 ans plus tard, parcouru un grand chemin ensemble. Que nous nous sommes, heureusement, retrouvés.
D’ailleurs, Ahmed Sékou TOURE, toujours lui, déclarait en ce fameux 25 août 1958 : « Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir sans hésitation l’interdépendance et la liberté dans l’union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France ».
Finalement, le temps lui aura donné raison.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes ensemble donc.
La France n’est certes qu’un partenaire parmi d’autres, car la Guinée a d’énormes besoins et d’immenses potentialités. Bien d’autres pays sont venus, après le départ de la France, lui prêter aide et assistance.
Mais la France, mon pays, se remet en question, innove, repense, réaménage son approche, sa manière de se présenter à la Guinée. Elle lui offre simplement son concours, loyal et amical, pour sa construction, son émergence et son progrès.
A cet égard, nous avons mis cette année l’accent sur trois priorités :
d’abord les services de base aux populations. Nous travaillons pour la santé et l’hygiène publiques, c’est fondamental. Vous savez, à cet égard, que nous sommes engagés pour la construction de quatre hôpitaux régionaux à vocation universitaire, à Kindia, à Labé, à Kankan et à Nzérékoré. Nous contribuons à l’Education nationale, à la distribution d’énergie, au développement agricole, en particulier les filières avicole et rizicole. Nous prenons part au renforcement des services de premiers secours aux personnes assurés par la Direction générale de la protection civile.
ensuite, c’est le deuxième axe, le patrimoine de la Guinée, qui est considérable. Nous travaillons à un projet de musée, virtuel et réel, avec Monsieur le Ministre de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat, car un musée, c’est l’identité, la mémoire, la réconciliation d’un grand passé avec le présent et le futur. Nous sommes également à vos côtés sur des projets de développement durable au service de votre patrimoine naturel, avec la réserve de Ziama, le projet de territoire de Moussayah et le vaste « corridor vert » porté par notre ONG Climate Chance.
enfin, troisième axe, qui est une poutre maîtresse en réalité, ce sont les femmes de Guinée, la jeunesse et la société civile. Nous sommes persuadés qu’une partie des transformations en cours changeront d’échelle, par les actions menées avec toutes ces actrices et acteurs de changements, entrepreneurs, artistes, créateurs, chercheurs, bloggeurs etc…C’est tout le sens du réseau d’anciens élèves que nous construisons, de nos projets de soutien aux micro-entreprises locales, de nos réflexions avec la société civile, dans le sillage du Sommet de Montpellier.

Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs,
En ayant décidé d’accompagner cette Transition en Guinée, de ne pas nous retirer après le coup d’Etat du 5 septembre 2021, de ne pas répéter l’histoire, de ne pas rompre une troisième fois, comme en 1958, comme en 1965, la France a engagé un capital politique dans ce pays. Elle a jugé qu’il fallait, dans l’intérêt supérieur des populations, maintenir un partenariat global, en dépit des circonstances, ou peut-être à cause de ces circonstances, car on ne doit pas laisser tomber un pays ami quand il traverse une période complexe.
Cette prise de risques est, tout comme le clavier de Jean-Sébastien BACH, bien tempérée, en l’espèce, par la raison, par l’honneur et la parole donnée au peuple de Guinée, à la CEDEAO et à la communauté internationale et finalement, par l’esprit de responsabilité, je le crois, des dirigeants de cette Transition.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
J’en termine, si vous le voulez bien, par trois séries de remerciements, à celles et ceux qui auront permis cette soirée :
D’abord à nos sponsors et fournisseurs, qui sont trop nombreux cette année pour être cités, mais dont les logos figurent en bonne place tout autour de vous.
Ensuite à toute l’équipe de l’ambassade, en particulier, je tiens à leur rendre un hommage spécial, mon assistante, Magali et notre Cheffe de pôle presse-communication, Marine, qui ont beaucoup donné de leur personne pour que la Fête soit belle.
Enfin, à toute l’équipe de la Résidence, derrière Alexandre l’intendant et le Chef Cissé. Vous pouvez les applaudir, car ils le méritent bien !
Pour conclure, je vous livre un scoop, je vous fais un serment et je vous donne trois rendez-vous.
Le scoop, c’est que la Guinée vient d’être incluse dans la liste des pays prioritaires de la Nouvelle Politique Africaine de la France, dans le cadre de ce que nous appelons dans notre jargon l’Agenda Transformationnel issu du Nouveau Sommet Afrique-France (NSAF) de Montpellier ! Cela entraînera, notamment, l’accès au tout nouveau Fonds d’Appui à l’Entrepreneuriat Culturel…
Le serment, c’est de faire au mieux et autant que possible, si les conditions le permettent (et cela ne dépend pas que de notre ambassade), pour garder le cap et bien terminer avec vous cette Transition, dans les délais prévus et à l’issue d’élections réussies, en pensant avant toute chose au Bien du peuple de ce pays et à son Mieux être. Je songe à Jeanne d’Arc, qui haranguait ses lieutenants en leur disant : « Marche hardiment »…
Les trois rendez-vous que je vous donne, ce sont d’une part, l’inauguration des nouveaux bâtiments du Lycée Albert Camus, à la rentrée, d’autre part, la pose des premières pierres des hôpitaux régionaux de Kankan et Nzérékoré, à la discrétion des autorités de la Transition et enfin, l’inauguration de l’Institut Pasteur de Guinée, début 2024.

Vive le partenariat entre la République de Guinée et la République française,
Vive la solidarité internationale,
Vive l’esprit d’ouverture, de tolérance et de concorde,
Je vous remercie.