Le Gabon, berceau de la Françafrique, a longtemps entretenu des liens forts avec son ancienne puissance coloniale. Mais au fil du temps, la mondialisation aidant, les relations entre Paris et Libreville se sont étiolées. Aujourd’hui spectatrice du coup d’État qui a évincé Ali Bongo du pouvoir, la France, échaudée par le sentiment anti-français qui essaime en Afrique francophone, se range en qualité d’observateur.
Le président français Emmanuel Macron et son homologue gabonais Ali Bongo Odimba avant leur rencontre à l’Elysée, en marge du sommet du Nouveau Pacte financier mondial, à Paris, le 22 juin 2023.
Le président français Emmanuel Macron et son homologue gabonais Ali Bongo Odimba avant leur rencontre à l’Elysée, en marge du sommet du Nouveau Pacte financier mondial, à Paris, le 22 juin 2023
Confronté à un nouveau putsch dans l’une de ses anciennes colonies, le gouvernement français avance avec prudence. « La France condamne le coup d’État militaire qui est en cours au Gabon », a sobrement déclaré le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, mercredi 30 août, quelques heures après l’intervention, à la télévision gabonaise, des forces armées ayant écarté le président Ali Bongo. La diplomatie française « réaffirme son souhait que le résultat de l’élection, lorsqu’il sera connu, puisse être respecté », a poursuivi le représentant de l’exécutif lors d’une conférence de presse à l’issue du Conseil des ministres.
Gabon : rapidement, la France a condamné « le coup d’État militaire qui est en cours. » Or, d’autres pays ont des propos plus modérés que Paris à
Une posture mesurée qui s’inscrit dans la nouvelle ligne politique de Paris vis-à-vis de ses anciennes colonies africaines. « Lors de sa visite au Gabon en mars 2023, Emmanuel Macron avait annoncé la fin de la Françafrique, rappelle Caroline Roussy, directrice de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). On assiste à un changement d’ère. Il y a quelques mois encore, la France n’avait pas condamné l’élection d’Idris Deby en 2021 au Tchad, ni celle d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, réélu pour un troisième mandat pourtant controversé en 2020. Aujourd’hui, Paris s’en tient à condamner les coups d’État, comme elle a pu le faire au Niger, prenant soin de ne pas s’immiscer dans les affaires internes du pays, développe l’experte de l’IRIS. Cette diplomatie de la mise en retrait de Paris semble la plus judicieuse dans ce contexte car la situation reste complexe. Même si l’on ne peut pas exclure que la diplomatie française œuvre en sous-main, par le biais de son ambassadeur, pour tenter une médiation entre l’opposition et la junte ».
D’observateur à médiateur ?
Accusée d’ingérence par les pays du Sahel, « la France se garde bien d’agiter le sentiment anti-français qu’elle inspire dans certaines anciennes colonies, comme au Niger, en prenant parti, opine François Gaulme, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et auteur du livre « Le Gabon et son ombre ». Elle se pose en simple observateur car il s’agit d’ailleurs d’une révolution de palais. Mais si les Gabonais sont demandeurs, il se peut que la France mette à profit sa bonne connaissance du pays pour jouer les médiateurs car ses relations avec Libreville restent bonnes. »
Mais elles n’ont plus rien à voir avec les relations entretenues jadis, à l’époque où le Gabon demeurait le berceau de la Françafrique. « Les relations entre les deux diplomaties ont évolué avec le temps, poursuit Caroline Roussy. Sous l’ère Omar Bongo, les contacts étaient extrêmement chaleureux et rapprochés. Aujourd’hui, les deux pays sont toujours proches, mais sans plus. La France y a largement perdu son influence ». Même constat pour François Gaulme. « Depuis François Hollande, les relations ne sont pas mauvaises mais elles sont a minima. La connivence que François Mitterrand et Jacques Chirac entretenaient à l’endroit d’Omar Bongo est bien finie. L’arrivée de son fils, Ali, au pouvoir a progressivement éloigné les deux capitales. »
Une perte notable d’influence
Anglophile, Ali Bongo s’est d’abord attaché à faire entrer le Gabon au sein du Commonwealth. « Une provocation visant à prendre ses distances avec l’ancienne puissance coloniale », analyse François Gaulme. « Une volonté de multiplier les alliances extérieures à l’heure de la mondialisation », abonde Caroline Roussy. Dans sa dernière intervention filmée, le président déchu n’a-t-il pas d’ailleurs appelé à l’aide de la communauté internationale en anglais, alors que le français est encore largement parlé au Gabon ?
Sur le plan économique, « Ali Bongo s’est également employé à toujours plus se rapprocher économiquement de la Chine ou de Singapour au détriment des entreprises françaises, constate François Gaulme. Certes, la France peut toujours compter sur le pétrole, le manganèse et le bois dans une moindre mesure. Mais certaines ressources comme l’uranium se sont épuisées. Puis, au fil du temps, les Français ont perdu les marchés dans le secteur de l’agro-industrie.
Des intérêts persistants
Reste que les intérêts français au Gabon demeurent. Dans ce riche pays d’Afrique centrale, la France compte à ce jour plus de 80 filiales d’entreprises françaises qui pèsent près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulés. De grands groupes comme TotalEnergies, Eiffage, Air Liquide, Bolloré, Havas ou encore Eramet, au sein desquels travaillent plus de 350 Français expatriés.
Depuis 1960, année de l’indépendance du Gabon, la France dispose également d’une base militaire permanente. La principale mission des 350 à 400 militaires pré-positionnés consiste à « compléter la formation des militaires des pays partenaires de la CEEAC [Communauté économique des États de l’Afrique centrale] dans leur mise en condition avant engagement dans des opérations intérieures ou extérieures », détaille le ministère des Armées.
Le Quai d’Orsay en « funambule »
Enfin, « le Gabon reste un pays francophile », indique François Gaulme. On compte 1400 expatriés français, principalement installés à Libreville. Et la diaspora gabonaise en France est très présente ». D’ailleurs, « il n’y a pas de sentiment anti-français au Gabon, reprend Caroline Roussy. Les opposants politiques ont pu reprocher à la France d’avoir soutenu la dynastie Bongo mais le pays n’exprime pas de grief particulier vis-à-vis de la France, comme au Niger ou au Mali », précise François Gaulme, chercheur associé à l’Ifri.
Mais là encore, les choses pourraient changer. « Il n’est pas impossible que la position du gouvernement français, qui joue les funambules depuis le début de la crise, ne nourrisse pas, à terme, un nouveau sentiment anti-français si les choses venaient à s’envenimer, conclut Caroline Roussy. C’est là une vraie mise à l’épreuve de la cohérence de la diplomatie française ».
France24