Le Procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) a pris le 19 octobre 2023 des  » réquisitions aux fins d’interdiction de sortie du territoire national visant 34 directeurs des affaires économiques et financières (DAF) de différents services publics en raison, dit-il, d’une dénonciation qui aurait été faite contre eux.

 

Il faut relever au passage que ce n’est pas la première fois qu’une IST est prise contre des citoyens guinéens. Mais par le passé, aucune autorité judiciaire ou administrative n’avait pris de manière formelle ou assumé publiquement une telle mesure. Les citoyens concernés se voyaient tout simplement empêchés de voyager après qu’ils ont accompli toutes les formalités au niveau de l’aéroport.

 

Devant une IST, la curiosité du juriste le pousse toujours à se poser une question sur la base légale de cette mesure.

 

Dans ses réquisitions aux fins d’interdiction de sortie du territoire national, le Procureur spécial un texte au début et deux textes à la fin.

 

Le premier texte est l’article 16 de l’ordonnance portant création de la CRIEF.

 

Le texte dispose que  » le ministère public près la CRIEF est exercé par un procureur spécial nommé par décret après avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans les affaires qui relèvent de sa compétence, il dispose des prérogatives que la loi confère au ministère public.  »

 

Les deux autres textes cités par le procureur spécial sont les articles 47 et 55 du Code de procédure pénale. Le premier n’offre aucun intérêt en ce qui concerne le pouvoir du procureur spécial près la CRIEF à prendre des réquisitions aux fins d’interdiction de sortie du territoire national, puisqu’en l’espèce, il ne lui en donne aucun.

 

Il faut donc s’intéresser au premier alinéa de l’article 55 du CPP qui dispose que « le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale. »

 

Des réquisitions aux fins d’interdiction de sortie du territoire national font-elles partie des  » actes nécessaires à la recherche er à la poursuite des infractions à la loi pénale » ?

 

La question mérite d’être posée.

 

Mais si telle est la position des procureurs, il va s’en dire qu’il s’agit purement et simplement d’un forçage ou un forcing juridique. En effet, à défaut de trouver une base légale à une interdiction de sortie du territoire national, ces magistrats s’accrochent à cette phrase pour prendre une mesure hautement attentatoire à une liberté individuelle consacrée par tous les textes internes et internationaux relatifs aux droits et libertés des citoyens.

 

La logique juridique voudrait qu’à chaque fois qu’une mesure susceptible de porter atteinte à une liberté ou à un droit individuel, celle-ci soit prise par un juge, c’est-à-dire un magistrat indépendant.

 

Sinon, ce serait très facile pour un procureur de la République ou un procureur spécial, par ailleurs partie au procès pénal, de prendre des mesures de ce type contre un « adversaire « .

 

Même si un procureur a pour rôle de veiller aux intérêts de la société, il n’est pas au-dessus de la loi. C’est pourquoi il est indiqué dans les dispositions préliminaires du CPP, que  » la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties.  »

 

Les parties, c’est la personne poursuivie, la victime et le représentant de la société qu’est le procureur de la République ou le procureur spécial dans ce cas-ci.

 

La procédure pénale repose sur la quête d’un équilibre entre les intérêts de ces différentes parties. Il faut le comprendre et l’accepter même si l’on est le représentant de la société.

Me Traoré