Ces derniers temps, des jeunes guinéens quittent le pays en masse pour les États-Unis via la Colombie, le Nicaragua, le Honduras et le Mexique. Notre limier a fourré son nez dans les différents foyers de recrutement pour le départ vers le pays de l’Oncle Sam via l’Amérique Latine.
De nombreux guinéens, compte tenu de l’image donnée aux migrants ayant réussi, accordent une importance capitale à la migration même si une bonne partie d’entre eux ne se trouvent pas dans une situation de dénuement aigu. Pour la plupart de ces candidats à l’immigration, les Etats-Unis d’Amérique sont vus comme un eldorado, un lieu de réalisation des rêves et d’optimisation des opportunités de réussite. Malgré des conditions de voyage, par voie irrégulière, de plus en plus difficiles, ces gens, dont la majorité est constituée de jeunes gens, restent toujours prêts à prendre des risques. La recherche d’une situation économique plus favorable et de sources de revenus, les poussent à fuir la misère du pays.
Malgré les sensibilisations répétées, la situation perdure et prend même de l’ampleur. A Conakry on est fatigué de ces appels moralisateurs. B D, un étudiant interrogé lors de notre enquête, résume l’état d’esprit ambiant : « Si j’ai la possibilité de travailler, de manger à ma faim et d’avoir un toit, je serai réceptif aux conseils et autres campagnes de sensibilisation. Je ne vais pas abandonner tout cela pour partir !»
Partir, c’est le projet de l’étudiant. Ce n’est même pas un rêve pour lui, plutôt un « effet de mode », comme l’avoue-lui même. À « 30 ans, il est aujourd’hui vendeur de téléphones de seconde main à Dixinn-Stade. À côté de lui, ses collègues par dizaines font les malins avec leur moto et leurs blousons. « Moi, on m’appelle le requin, prêt à mordre à l’hameçon », frime l’un d’eux, s’avançant vers la Pharmacie Centrale, l’ex Pharma-Guinée.
BD, assit devant sa table, raconte son projet, sa voix recouvrant à peine la musique à plein volume diffusée par la boutique d’en face. «Je suis en contact permanent avec mes amis qui sont arrivés aux Etats-Unis et nous discutons sur WhatsApp chaque jour. Ils m’expliquent le circuit de Bogota en Colombie à Mexico, en passant par le Nicaragua et le Honduras. Ce n’est pas facile ! Mais quand on parle des risques à nous qui avons pris la décision, on a la tête haute. On refuse de comprendre quelque chose. Moi, je veux simplement enlever mes parents dans la souffrance. ».
Ainsi, aujourd’hui en Guinée, on entend partout ce slogan dans la bouche des jeunes : « Je préfère mourir dans la mangrove du Guatemala ou dans n’importe quelle forêt du Nicaragua que d’avoir honte devant ma mère. »
Lors de notre enquête auprès des jeunes dans les quartiers de Conakry, on a constaté qu’environ 80 % d’entre eux trouvent que la migration était un bon projet. Les investissements des Guinéens de la diaspora y sont sûrement pour quelque chose. Conakry regorge actuellement de belles maisons construites par eux. Le flot de départs depuis la capitale s’est accentué. Ni la sensibilisation ni la répression avec le démantèlement de certains réseaux de passeurs n’ont pu dissuader les candidats à l’immigration. Chacun estime avoir sa chance. De nombreux jeunes ont tendance à voir la prise de risque comme un challenge. Comme quoi, l’inadéquation entre les formations et le marché du travail, tout comme le manque de perspective, sont les raisons, selon BD. « Les jeunes veulent quitter ce pays où il y a peu d’espoir en termes d’opportunité », explique-t-il.
Si le paramètre de la pression sociale est important et que l’aventure entreprise dépasse une quête d’ordre purement individuelle, il est à mentionner que l’envie de se réaliser, le besoin d’échapper à la précarité, la quête d’un emploi réconfortant et un avenir alléchant sont, entre autres, autant de raisons qui déterminent l’envie de migrer. En outre, si la rivalité entre demi-frères peut pousser des coépouses à encourager leurs enfants à migrer : il n’est pas à négliger que le statut d’aîné est plus enclin à migrer que les autres membres de la famille car être le premier enfant, c’est occuper une place particulière
Les villes et quartiers (foyers) de départs….
Le trafic illicite de migrants depuis la Guinée vers l’Amérique du Nord est un phénomène relativement récent qui semble avoir gagné en ampleur ces temps-ci. Depuis un certain moment, des milliers de candidats guinéens à l’immigration atterrissent à Bogota en Colombie, en dépit des énormes difficultés que ce voyage présente, dans l’espoir d’atteindre les Etats-Unis. Presque tous se font aider. Les trafiquants gagnent de l’argent en aidant ces candidats au départ à se procurer des visas par des moyens frauduleux et en leur expliquant comment ne pas éveiller les soupçons des agents de la police des frontières.
Il existe des réseaux informels de « passeurs » qui constituent le maillon essentiel sans quoi les migrations ne pourraient avoir lieu. Des personnes interrogées affirment connaître des individus à Conakry –« coursiers du voyage irrégulier »-qui s’adonnent à cette pratique.
Selon notre confrère, le Lynx, « Il existe des réseaux de vente de billets même dans les quartiers… Sur internet notamment Facebook, les vendeurs n’hésitent pas à afficher leurs contacts, numéros de téléphone surtout, pour des éventuels intéressés ».
Ainsi, « Tout commence à Conakry où est installé le premier maillon des passeurs. Il est chargé d’identifier et d’appuyer les candidats à l’immigration pour les États-Unis via le Nicaragua. Il recrute et envoie les candidats et se charge de toutes les formalités. Parmi elles, l’achat du billet d’avion Dakar-Turquie-Mexique », précise le confrère.
Le premier point de rencontre des candidats à l’immigration qu’on nous a indiqués se trouve au quartier de Kipé Centre-Emetteur, dans la commune de Ratoma, non loin de l’agence SEG. Ici, est installé un cabinet clandestin de recrutement de tous ceux qui manifestent le besoin de tenter leur chance. Passer pour des clients, il nous a été demandé de fournir nos passeports et une somme de 500 dollars pour s’inscrire sur la liste de candidature au départ. Ce qui n’a rien à avoir avec le frais d’achat du billet d’avion Dakar-Ankara-Mexico. « C’est pour juste mettre vos noms sur la liste. Nous vous recensons et après vous vous rendez à Dixinn-Stade pour le reste des formalités. C’est là-bas qu’on vous donnera le tarif du billet d’avion et on vous expliquera le trajet à suivre », nous informe Alpha A D, le principal démarcheur de cette première agence de recrutement. « Nous sommes connus dans les quartiers et même dans les villes de l’intérieur du pays. On a un numéro de contact ou le plus souvent ça se passe de bouche à oreille. Nous sommes la porte d’entrée des différents réseaux », nous précise notre interlocuteur.
A Dixinn-Stade où nous nous sommes rendus, c’est un cabinet de recrutement des candidats à l’immigration pour le Canada qui nous accueille. « C’est bien ici. Vous ne vous êtes pas trompés. C’est bien « immigrer au Canada qui inscrit au fronton du bureau », mais nous traitons aussi les dossiers de tous ceux qui veulent aller aux États-Unis via les pays d’Amérique Centrale. Et notre réseau est très efficace. Tous ceux qui ont emprunté notre circuit sont arrivés à destination sans trop de difficultés en chemin », nous rassure Y B. le chef d’antenne de la boîte. Sont-ils installés dans d’autres quartiers ou dans les préfectures à l’intérieur du pays ? « Non. Nous procédons par les réseaux sociaux avec nos numéros de téléphone. Vous savez, tous les jeunes guinéens veulent quitter le pays. Dès qu’ils voient ces genres d’annonces sur les réseaux, ils font la capture et nous contactent directement. A Conakry ici, nous sommes dans toutes les communes. Mais surtout dans les quartiers de la banlieue tels que Lambayi, Sonfonia, vers l’Université Général Lansana Conté, en face de l’aéroport à Gbessia, à Almamya, à Manquepas à Kaloum », nous indique sieur Y B, les différents lieux de recrutement des candidats à « l’enfer » des forêts de l’Amérique Centrale.
Aujourd’hui à Conakry, les cabinets clandestins de recrutement des candidats à l’aventure américaine, foisonnent dans presque tous les quartiers. Désormais l’enfer du désert et le voyage dans la Méditerranée entre le Maroc et la Tunisie, via la Libye, est insupportable. Parce que c’est trop risqué. Les jeunes optent pour les forêts et la mangrove des pays de l’Amérique Centrale pour atterrir au pays de l’Oncle Sam.