Depuis la publication de l’avant-projet de constitution, le débat se focalise essentiellement pour ne pas dire exclusivement sur la non reconduction des articles 46,55 et 65 de la Charte de Transition au titre des dispositions transitoires de ce qui sera dans quelques mois, en cas d’adoption par voie référendaire, la loi fondamentale de notre pays.

Il faut rappeler que ces articles interdisent aux membres des organes de la Transition de se porter candidats aux élections qui marqueront la fin de la Transition.

Pour de nombreux juristes et même de simples citoyens, l’absence de ces articles dans les dispositions transitoires de l’avant-projet de constitution est une manière extrêmement subtile de permettre aux membres des organes de la Transition d’être candidats aux élections nationales qui mettront fin à la Transition.

En tout cas, suivant une certaine lecture, rien, en l’absence de la Charte de la Transition, ne pourrait en droit empêcher le Président de la Transition, les membres du CNRD, le Premier ministre, les membres du Gouvernement de Transition et les membres du CNT d’être candidats à ces élections.

Pour justifier la non prise en compte des articles 46, 55 et 65 de la Charte de la Transition, on utilise de plus en plus un argument qui tend à devenir officiel ; une sorte d’éléments de langage que l’on ne manquera pas d’entendre les prochains jours, semaines et mois. Cet argument est celui du caractère impersonnel de la règle de droit en général et de la constitution singulièrement.

Autrement dit, une règle de droit et une constitution « ne personnalise pas et n’individualise pas « . Cela s’opposerait au caractère impersonnel de la règle de droit.

En tant que juriste, il est important que, lorsque des questions de droit sont posées, l’on s’exprime ne serait-ce que pour éviter que des notions au demeurant très simples, soient galvaudées sciemment ou non.

Dans cette publication, il va être question principalement de ce qu’on entend par « caractère impersonnel de la règle de droit « .

Une fois que des précisions seront apportées sur cette notion, on verra par la suite et à titre accessoire si la reconduction des articles 46,55 et 65 de la Charte de la Transition comme dispositions transitoires dans l’avant-projet de constitution peut être considérée comme une atteinte au caractère impersonnel de la constitution.

Le lexique des termes juridiques que tous les juristes connaissent définit  » la règle de droit  » ou  » règle juridique » comme une « règle de conduite dans les rapports sociaux, générale, abstraite et obligatoire, dont la sanction est assurée par la puissance publique « .

Cette définition laisse apparaître les caractères de la règle de droit : elle est générale, abstraite et obligatoire.

Certains ramènent d’ailleurs les caractères de la règle de droit à deux principalement : le caractère abstrait et le caractère obligatoire.

En effet, selon eux, le caractère abstrait de la règle de droit, recouvre à la fois la caractère général et le caractère impersonnel.

Le caractère abstrait de la règle de droit signifie  qu’elle « concerne chacun et ne vise personne en particulier  » ( J.-L. Aubert et E.Savaux,  Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,  Sirey, 16ème éd. 2016, n°8). Elle est donc générale et impersonnelle.

C’est pourquoi, dans la rédaction de la règle de droit, on constate l’emploi de termes tels que  » Quiconque… »  » Toute personne… »  » Chacun… »,  » Celui… »  » Tout … » etc.

C’est l’aspect formel du caractère abstrait de la règle de droit.

Ce caractère abstrait se manifeste aussi quant au fond même de la règle de droit c’est-à-dire son contenu. En effet, la règle de droit s’applique à un nombre indéterminé de personnes placées dans la situation qu’elle vise. C’est en ce sens que la règle de droit se distingue d’une mesure individuelle qui vise une ou plusieurs personnes nommément désignées.

Ainsi, la caractère impersonnel de la règle de droit signifie tout simplement que celle-ci ne doit pas viser des personnes expressément désignées. Mais ce caractère ne s’oppose pas à ce qu’elle s’applique à un nombre indéterminé de personnes se trouvant dans la situation qu’elle vise. Autrement dit, la règle juridique définit un champ et toute personne qui s’y trouverait est automatiquement concerné par elle.

 

Ces précisions étant données, on va se poser cette autre question : en reconduisant les articles 46,55 et 65 de la Charte de la Transition comme dispositions transitoires de l’avant-projet de constitution, est-ce qu’on porte atteinte au caractère impersonnel de la règle de droit ? La réponse est incontestablement non.

En effet, les articles 46,55 et 65 de la Charte de la Transition ne visent pas nommément des personnes. Et d’ailleurs, au moment où le Président de la Transition signait la Charte de la Transition, on ne connaissait pas et on ne connaît toujours pas la composition du CNRD; on ne connaissait pas non plus les membres du Gouvernement et ceux du CNT. Le Président de la Transition était le seul organe de la Transition connu. Et en toute liberté, il s’est exclu des élections qui seront organisées pour marquer la fin de la Transition et le retour à l’ordre constitutionnel.

Dès lors qu’aucun membre d’un organe de la Transition ne peut dire qu’il est expressément et nommément visé par les articles 46,55 et 65 de la Charte de la Transition, aucun d’entre eux ne peut affirmer non plus et incontestablement qu’il est expressément et nommément visé par les mêmes articles reconduits comme dispositions transitoires dans l’avant-projet de constitution.

Ceux qui veulent en particulier que le Président de la Transition se porte candidat à la prochaine élection présidentielle ont sûrement leurs raisons et des arguments dans ce sens. Mais avec l’argument tenant à la violation du caractère impersonnel de la règle de droit pour botter en touche la non reconduction des articles 46,55 et 65 de la Charte de la Transition, il n’est pas certain qu’on parvienne à convaincre grand monde. Il faudra peut-être faire preuve d’un peu plus d’imagination et d’ingéniosité juridique pour y arriver.

 

Me Mohamed Traoré

Avocat à la Cour