02 octobre 1958- 02 octobre 2024, accession de la Guinée à l’indépendance. Nous saisissons cette occasion idoine pour marquer le retour de notre tribune habituelle paraissant le premier et le quinze de chaque mois, Juris Guineensis, après la vivifiante pause d’hivernage des vacances académiques et judiciaires. Ce matin, longeant ce qui reste des rails du Conakry Niger, laissant la rivière Mamounwol derrière nous, avec les ruisseaux Sabouhoun d’un côté et Koumiwol de l’autre, la forêt de Hooré-Koumi qui commence à Kolla, beau patelin de Mamou qui nous a vu naître, lors de notre randonnée matinale, arrivé au très connu Col de Fitakouna, ka Bootohun, nous avons croisé une dame d’un certain âge, elle a tenu à conter au passant que nous sommes un pan de son histoire. Elle concerne la conversation qu’elle a eu ce matin même avec ses enfants à l’occasion de son 66 eme anniversaire. Chères lectrices et chers lecteurs, tendons l’oreille et laissons-la raconter son récit :
« Passant, je suis Guinée, j’ai 66 ans, si tu croises des enfants joyeux mais déterminés le long de ton chemin, ne prend pas peur. Ce sont mes enfants partis en brousse chercher du bois mort pour la cuisine. Veux-tu en savoir plus ? Tu as hoché la tête en signe d’approbation. Ok, je te dirais tout mais attention, ce n’est pas un conte que je raconte car il n’y aura pas « Il était une fois » ou « Jadis », je te dis ce qui est sur le moment de se passer. Ce n’est non plus une légende, car aucun guerrier intrépide ne viendra ramasser du bois pour eux et les mettre sur son dos pour les transporter à la maison, je parle de faits réels. C’est également d’être une histoire d’amour car aucun amoura n’ira cueillir des étoiles pour en faire cadeau à sa dulcinée, j’aurai du vrai bois apporté par mes enfants. Point.
Ainsi dit, ainsi fait, ce matin, 02 octobre 2024, tous mes enfants étaient autour de moi pour me souhaiter joyeux anniversaire à l’occasion de mes 66 ans autour d’un fastueux repas à préparer ensemble. Ils étaient drapés de leur Ngara et Leppi, de leur Kindeki, leur Bakha et leur étoffe de la forêt sacrée. Ils dansaient au tour de moi des danses polyrythmiques de la forêt, du konkoba, du Toupoussesse, du Yo Lelle et du Yankani. Ils apportèrent le riz bara bara, le fonio hâtif, l’igname, le maïs, le taro, la viande de chèvre, le konkoé, la viande de brousse, l’huile de palme premium, les juteuses oranges, l’ananas baronne et j’en passe. Il y avait de tout pour un festin des plus copieux. Aux chansons et autres cadeaux et gâteaux, je leur ai manifesté toute ma joie mais leur ai indiqué qu’il manque un cadeau, le seul qui puisse me satisfaire et rendre heureuse toute ma famille, le cadeau manquant sans lequel notre festin serait fade, le bois de chauffe qu’ils devaient m’apporter toutes et tous, ensemble.
Pour la petite histoire du fagot de bois comme cadeau d’anniversaire de Mère Guinée
Mes enfants, je suis fatigué de me brûler les doigts à force de faire la cuisine pour vous avec des brindilles alors que le Seigner m’a doté d’une luxuriante forêt. Je suis exténuée de vos arguments de dimanche du genre : « Mère, il pleuvait à verse, il n’y avait un boa dans la forêt, il y avait ceci, il y avait cela, dans la forêt ». Je suis las de vos promesses : « Mère, la semaine prochaine, tu auras le meilleur fagot de bois de la contrée, etc. ». Regardez bien autour de vous, mes copines, N’Nah Liberia et Nene Sierra Leone ont certes de grandes forêts mais n’ont pas cette forêt dense que nous avons mais elles cuisinent avec un bois sec. Les enfants de N’Ga Sénégal et de Mama Mali ont toujours apporté le bon bois à leur mère alors qu’on y note que sables et savanes comme environnement. Alors, partez toutes et tous, en brousse, pourvue d’abondantes matières ligneuses, me chercher du bois de chauffe, ainé comme benjamine, filles comme garçons. Bafode, Finda, N’Galou, Yala Bhoye, Siré, Sekouba, Thierno, Farba Demba, Babaen, Nantenin, Bountou, Cece, N’Galou, Yalani, Mamadi, Samba Djouma et Sayon, cette fois ci, je ne veux pas de « Tyarmallé », ces brindilles qui se consument vite. Je veux du meilleur bois, des « falima », ces bons morceaux de bois secs et bien fendus. Je vous précise de prélever que le bois mort comme au temps jadis pour permettre à Mère Nature de se régénérer. Partez toutes et tous, avec mes bénédictions. Ne revenez qu’avec cet ingrédient manquant. Je veux un seul fagot pour allumer le feu incandescent qui nous manque pour préparer notre repas de fête dont la composition suit :
De la composition du fagot de bois chauffe de Mère Guinée
-Un « popo » du respect des droits de l’homme, de l’engagement d’un véritable processus démocratique et de l’instauration de l’Etat de droit
Mes enfants, parmi le bon bois que vous m’apporterez, rechercher le popo. Il est dur comme le cèdre. Il ne se consume pas vite. C’est avec lui qu’est bâti la charpente de notre case depuis tant d’années. Il diffère des brindilles habituelles qui constituent vos fagots faits de branches de kapokiers, de « boumboun » et autres bois morts de mauvaise qualité ; bois qui me brûle les doigts et rougit mes yeux en raison de leur fumée âcre et nocive. Ils se consument vite. Ces brindilles-là sont les violations des droits humains, la dictature et l’absence de l’Etat de droit. A l’inverse, les « falima » du « popo » sont le respect de l’humain dans ce qu’il a d’humanité, la reconnaissance de ses droits consubstantielles et inaliénables et surtout la garantie de leur respect au moyen de mécanismes, de procédures et d’institutions judiciaires et non judiciaires. Ils sont aussi l’engagement d’un véritable processus démocratique. Tant et aussi longtemps, le citoyen n’aura pas eu son mot à dire sur le choix du dirigeant, de manière périodique, par le biais d’élections crédibles et sincères, il restera encore du chemin à faire. Ils sont enfin, la soumission des gouvernants comme des gouvernés à la loi, au droit ; l’Etat de droit doit revêtir son manteau concret et non rester à l’étape de slogan.
-Un « kinsi » de la résolution du passif humanitaire, du devoir mémoriel, de la justice transitionnelle, de l’unité et de la réconciliation nationale
Mes enfants, vos petits bois « fare yaré » ont même failli brûler le toit de chaume de votre case. Ils se consument vite et consument tout à leur passage. A leur passage, on parle de morts, de charniers, de revisionnisme de l’histoire, de jugements sommaires suivi d’exécution et autres pendaisons, de déchirure du tissu national et que sais-je encore. Pensez-vous que nous pouvons allumer notre feu pour entamer la préparation de notre repas sans nous débarrasser de la cendre abondante et néfaste de ces petits bois ? Le kinsi, le bois mort du palétuvier, nous sera utile. Ses brindilles feront office de balai pour nettoyer les cendres sus évoqués de notre foyer pour le feu domestique. Son bois gorgé de sel nous sera à résoudre notre lourd passif humanitaire. L’écriture de l’Histoire générale de la Guinée permettra de fixer sur le papyrus notre commun récit national sans omettre aucune de ses pages. Du récit, adressages, plaques commémoratives, dates historiques, stèles seront érigés et célébrés en guise de mémoire national. L’engagement d’une justice transitionnelle serait à même de mettre autour de la même table victimes et auteurs afin d’amorcer un processus de guérison collective de notre passé traumatique avec le repenti de l’auteur et le pardon de la victime, assorti de clauses de non répétition.
De la fin de l’histoire, de l’espoir et de la leçon à tirer du récit de Mère Guinée
J’ai foi que mes enfants m’apporteront finalement, moi Guinée, du haut de mes 66 ans, ce cadeau tant attendu et cet ingrédient qui manquait sur ma liste des cadeaux années après années. Grâce à l’effort conjugué de toutes mes filles et tous mes fils, à force de travail honnête et de patriotisme sincère, j’aurai ce fagot de bois indispensable à tout développement. J’ai foi aussi que je vivrai pour voir arriver ce jour, pour allumer le feu permanent pour leur préparer un éternel repas comme je sais bien le faire afin de régaler convives, voisins et simples passants comme toi. Infini merci pour l’écoute, Passant. Que le Seigneur éclaire notre chemin. »
Soudain, notre dame disparut dans le brouillard comme elle nous est apparue et nous continuâmes notre chemin de retour, avec le soleil qui pointe déjà son bout de nez entre les monts Ley-Séré. Puissions-nous comprendre que Notre Grand Récit National Guinéen, notre destin collectif, surplombe notre récit individuel pris isolément comme nous l’indiquions dans un des nos recueils poèmes « Guinée-Nombril » ! Puissions-nous toutes et tous faire nôtre le récit que dessus et apporter ces « falima » de bois à notre Mère Guinée afin de bâtir notre pays pour nous et pour les générations futures !
Avec nos remerciements renouvelés à nos partenaires médias, à nos fidèles lectrices et lecteurs, nos vœux de bonne reprise après les vacances hivernales à toutes et tous et surtout bonne fête de l’indépendance à toutes les filles et à tous les fils de la Guinée.
Mamou, le 02 octobre 2024
–Juris Guineensis No 69
Me Thierno Souleymane BARRY, Ph.D
Docteur en droit, Université de Sherbrooke/Université Laval (Canada)
Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour