Alors que les acteurs des médias se retrouvent, pendant trois jours à partir de ce lundi 19 mai 2025, dans le confort feutré d’un hôtel pour dresser le bilan de leur parcours, « faire des recommandations en vue d’un exercice libre mais surtout responsable du journalisme en Guinée », à l’occasion de ce que la Haute autorité de la Communication dénomme « Forum sur l’avenir de la presse en Guinée », que l’on pourrait également appeler les états généraux de la presse, il m’apparaît nécessaire — bien que non convié — d’offrir à travers cette tribune une réflexion alternative. Celle d’un journaliste libre, peut-être marginalisé, mais convaincu que certaines vérités, aussi dérangeantes soient-elles, méritent d’être dites, au risque de ne pas figurer à l’ordre du jour.
Par Abdoulaye Sankara (Abou Maco)
Dans l’arène contemporaine de la communication, les canaux médiatiques privés ont conquis une place prépondérante dans la fabrique de l’opinion. Par la seule force de leur audience et la rapidité de diffusion des contenus, ils ont réussi à hisser au-devant de la scène publique une constellation d’entités politiques, associatives ou militantes dont la consistance populaire était, au mieux, marginale. L’exposition médiatique a ainsi servi d’alternative à la légitimité démocratique, brouillant les repères entre représentativité réelle et présence médiatique construite.
Ce renversement symbolique s’est opéré au détriment de la qualité du débat public. L’intérêt général, qui devrait guider toute entreprise journalistique, s’est vu relégué derrière la quête effrénée de profit ou de proximité stratégique avec les détenteurs de pouvoir. La vérité, dans ce contexte, devient une variable d’ajustement, soumise aux logiques de transaction entre influenceurs médiatiques et figures politiques. L’information, autrefois perçue comme un bien commun, s’est muée en marchandise aux mains de groupes d’intérêts.
Cette dérive a contribué à engendrer une vie publique dominée par des formations sans ancrage sociétal, mais dont le vernis médiatique suffisait à leur conférer un semblant de popularité. Les conséquences sont lourdes : une démocratie désorientée, un électorat trompé, et une fracture sociale alimentée par des récits fabriqués à dessein. L’instrumentalisation de l’audiovisuel et de la presse écrite a creusé un écart entre l’information et la réalité, entre la parole publique et les préoccupations authentiques de la population.
Loin de jouer leur rôle de contre-pouvoir, nombre de ces organes médiatiques se sont mués en caisses de résonance des ambitions individuelles ou des rivalités politiques. La critique y est sélective, la vérité conditionnée, et la neutralité abandonnée. Cela a fragilisé la capacité des citoyens à discerner le vrai du factice, le sincère du stratagème, et à se positionner de manière éclairée face aux enjeux de gouvernance. Le tissu institutionnel en a souffert, tout comme la crédibilité du processus démocratique.
Ce constat appelle à une réforme profonde de l’écosystème médiatique. Car si l’information reste un pilier de toute société éclairée, elle ne peut remplir sa mission que dans un climat de rigueur, d’indépendance, et d’engagement éthique. Il en va non seulement de la qualité du débat public, mais aussi de la solidité du contrat social.
Il est grand temps d’émanciper la parole médiatique des entraves de l’allégeance partisane et du commerce dévoyé de l’information. Si l’on aspire à restaurer la confiance citoyenne et à jeter les fondations d’une démocratie authentique, le pays doit impérativement se doter d’une presse libre, compétente et enracinée dans les principes éthiques de sa vocation première : dire le réel, sans artifice ni compromission. Car une société mal informée est une société fragilisée, et une presse soumise devient un péril pour la République. Puissent ces journées de réflexion ne pas éluder cette autre question préoccupante, et aboutir, au terme des travaux, à des réponses concrètes et structurelles aux nombreux défis auxquels le paysage médiatique demeure confronté. Avec, en ligne de mire, la nécessité de faire la lumière sur le sort du journaliste Habib Marouane Camara, porté disparu depuis cinq mois.