Politique : quand la banque centrale impose une pause forcée…
Vous avez dit Le moins que l’on puisse dire, c’est que les scandales de corruption à répétition au sein de la Banque Centrale de la République de Guinée ne sont pas sans conséquences sur la dynamique politique actuelle du régime militaire.
Depuis plusieurs mois, le chef de la junte, le général Mamadi Doumbouya, dépêche régulièrement des émissaires ministres et hauts cadres dans l’intérieur du pays, les bras chargés d’argent et de véhicules à distribuer aux sages, aux notables et aux imams. Officiellement, d’autres groupes, notamment les jeunes et les femmes, ne bénéficieraient pas de cette générosité. Mais dans les faits, c’est un secret de polichinelle. Les membres du gouvernement sillonnent le pays à bord de véhicules transportant d’importantes sommes d’argent. Ils soutiennent des jeunes et des femmes mobilisés pour chanter et danser les louanges du chef de la junte, dans une tentative de prouver sa popularité supposée.
Pour de nombreux observateurs de la scène politique guinéenne, une chose est claire : sans argent, pas de mobilisation d’envergure.
Or, à la fin du mois de mai, ces grandes mobilisations ont subitement cessé. Les longues colonnes de véhicules, les bus loués, les cortèges bruyants ont disparu des rues et ruelles du pays. Pourquoi ? Parce que l’argent ne circule plus, et que les ministres sont rentrés à Conakry.
Ce levier de mobilisation l’argent n’est plus distribué aux jeunes et aux femmes pour les inciter à descendre dans la rue. Et ce, même si les manifestations restent officiellement interdites depuis le drame du stade de Nzérékoré, qui a fait 56 morts selon le gouvernement, et au moins 140 victimes d’après les organisations de la société civile locales mobilisées aux côtés des familles endeuillées.
À la lumière de ces faits, force est de constater que le nerf de la mobilisation reste bel et bien l’argent aujourd’hui devenu rare.
La faillite morale et financière de la Banque Centrale, marquée par des détournements massifs de tonnes d’or et de centaines de millions de dollars que l’on tente désormais de régler à l’amiable, selon Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement n’est certainement pas étrangère à cette paralysie.
Dans les banques commerciales, même retirer quelques millions de francs guinéens est devenu une épreuve. Avec un chèque en main, il est quasiment impossible d’obtenir son argent le jour même : il faut revenir, patienter, espérer. La raison ? La Banque Centrale n’a plus suffisamment de liquidités pour approvisionner les banques primaires.
Loin d’un simple dysfonctionnement temporaire, cette situation frôle la banqueroute.
Les banques commerciales ne peuvent plus retirer librement leur argent auprès de la Banque Centrale. Et ce ne sont pas les déclarations rassurantes du général Amara Camara, affirmant que l’État sait où se trouve l’or volé, qui suffiront à convaincre que tout va bien.
Pendant ce temps, le gouverneur de la Banque Centrale, Karamo Kaba, et son vice-gouverneur, Mohamed Lamine Conté, semblent s’en sortir sans grande conséquence. C’est plutôt la deuxième vice-gouverneure, Souadou Baldé, qui a été sacrifiée, avant d’être recasée au Patrimoine bâti-public.
En attendant, le contribuable guinéen, cloué au pilori, observe cette situation avec circonspection. Mais pour combien de temps encore ?
Mohamed SOUMAH