Les acquis de la mise en place du Conseil supérieur de la Magistrature, la détention provisoire prolongée des militaires depuis 2011, les moyens de lutte contre la violence et l’impunité en Guinée, sont entre autres, les sujets évoqués au cours de cet entretien que Mamady Kaba, Président de la  section guinéenne de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de L’homme, nous a accordé. Lisez !

Guineelive.com : En matière de droits de l’homme, dites-nous aujourd’hui ce qui a évolué et ce qui n’a pas évolué en République de Guinée ?

Mamady Kaba : Bon ! Je l’ai répété à plusieurs reprises. Ce qui a évolué c’est bien l’environnement des droits de l’homme, la volonté des autorités de faire avancer les questions les plus essentielles en matière de droits de l’homme et surtout l’ouverture des autorités en charge des questions de droits de l’homme à faire en sorte que les préoccupations que nous avons soient prises en compte plus ou moins comme nous le voulons. Par exemple la mise en place du ministère des Doits de l’homme a quand même permis d’ouvrir un couloir de plus pour discuter avec le gouvernement des questions essentielles liées aux droits de l’homme. Et le ministre des Droits de l’homme, Gassama Diaby, se bat tant bien que mal pour quand même contribuer au débat, pour faire en sorte que les préoccupations soient partagées aussi, que les solutions soient recherchées ensemble. Pour le moment, nous n’avons pas beaucoup de moyens de résoudre les questions les plus difficiles, mais l’environnement est devenu beaucoup plus propice qu’il ne l’était par le passé. Mais qu’à cela ne tienne, il y a beaucoup de défis qui restent à régler notamment les droits économiques et sociaux, l’accès aux biens sociaux de base, la résolution des problèmes liés à l’eau et à l’électricité, à la corruption et à tout le reste.  Ça, ce sont des défis très importants. Mais les plus importants c’est l’insécurité avec la banalisation de la vie humaine, où les assassinats, les viols, les enlèvements, sont devenus quotidiens. Aujourd’hui chaque famille, chaque personne, chaque     Guinéen vit aujourd’hui la peur au ventre parce que personne n’est sûr le soir que demain matin va le retrouver en vie, parce que les bandits et les délinquants sont quand même allés très loin jusqu’à s’attaquer à des personnes qu’on croyait intouchables à cause de la sécurité qui les entourait. Je pense bien sûr à Mme Boiro et au  Commissaire qui a été tué à Sonfonia. Tout ça c’est des préoccupations. L’insécurité est vraiment aujourd’hui un défi majeur. Bon ! La police de proximité qui vient de naître, à notre avis, pourra améliorer l’accès à la sécurité. Mais je pense que ce qui est important de reconnaître, c’est que c’est un défi très important. Et il est important que chacun contribue à faire en sorte que l’environnement sécuritaire s’améliore en Guinée.

Récemment, le Gouvernement a procédé à la mise en place du Conseil supérieur de la Magistrature. Quelle est votre analyse là-dessus ?

C’est une très bonne chose. C’est une avancée capitale, dans la formalisation de l’indépendance de la justice. Vous savez que la justice, son indépendance, doit être d’abord institutionnelle. Les garanties institutionnelles de l’indépendance sont capitales. Et ensuite l’indépendance comme conviction des personnes mêmes qui doivent être l’objet de certaines dépendances. Je pense notamment aux magistrats. L’indépendance des magistrats dans la tête s’ajoutant à l’indépendance institutionnelle de la justice vont faire que notre justice va s’améliorer. Donc le conseil supérieur de la  magistrature va aussi contribuer à réduire la corruption dans l’appareil judiciaire, parce que le conseil peut sanctionner les juges et autres magistrats qui, quand même ont  recours   à des moyens illégaux, qui rendent des décisions injustes et qui ont recours à la complaisance dans le traitement des dossiers judiciaires. Ces magistrats indélicats peuvent être sanctionnés par le conseil supérieur de la magistrature. Ça, c’est quand même un pas très important. Mais d’autres pas restent à faire pour permettre à la Guinée  de s’arrêter sur les deux pieds. D’autres institutions doivent être mises  en place notamment la Cour constitutionnelle, l’institution des droits de l’homme, la cour des comptes et d’autres institutions prévues par la constitution. Quand toutes ces institutions-là se mettront en place pour s’ajouter à celles  qui existent  déjà, nous pourrons dire que la Guinée est en train de devenir un pays normal, un Etat de droit, qui a tous ses piliers en place. Ensuite les autres problèmes seront plus faciles à régler.

Selon vous, que faut-il faire pour mettre fin non seulement aux violences mais aussi à l’impunité ?

La violence à répétition est en général une conséquence de l’impunité. Le fait que les personnes se croient à l’abri de la justice et qui pensent qu’elles sont intouchables font recours à la violence pour régler les problèmes qui sont les leurs. Donc à mon avis, combattre l’impunité, c’est aussi combattre la violence sur toutes les formes. Mais pour arriver à bout de ces fléaux, il faut que la réforme du secteur de sécurité se poursuive avec tous les moyens qu’il faut. Et aussi  avec la reforme du secteur de la justice, les deux vont ensemble. Il faut que le pays ait les moyens  de poursuivre ses reformes-là et d’aller en profondeur dans la conduite surtout de la reforme du secteur  de la justice. Donc je pense que ces différentes reformes vont apporter les moyens dont on va bientôt se servir pour combattre l’injustice, l’impunité, et toutes ces formes de violences qu’il y a dans notre pays. Vous savez, la majeure partie des violences prennent leur source dans le désespoir qui habite les populations. Les populations  se sentent un peu abandonnées et elles pensent qu’elles doivent se rendre parfois justice à elles-mêmes. Quand il y a un crime qui se produit, au lieu de recourir à la justice, les gens se font justice à eux-mêmes. Ce qui est la cause de nombreuses chaînes de violences que nous connaissons actuellement. Donc il est important que la justice fonctionne, que la justice se rapproche de la population, et que la justice soit réellement un abri pour les victimes. Que les victimes trouvent dans la justice les moyens de prendre en charge leurs préoccupations. Tant que cela n’arrivera pas c’est la vengeance qui va primer sur l’esprit de justice. Tant que l’esprit de justice et les moyens de la justice ne sont pas réunis nous ne pourrons pas  combattre l’impunité et la violence.

Quelle lecture faites-vous de la détention provisoire prolongée des militaires arrêtés et détenus depuis 2011, suite à l’attaque du domicile privé du Président de la République à Kipé ?

Oui, la détention provisoire et prolongée est inacceptable. C’est une violation des droits des détenus. Mais dans le cadre des militaires arrêtés et au regard des faits qui leur sont reprochés et les victimes innocentes qui ont laissé la vie, il n’est pas très prudent de demander que soit mis fin à leur détention, pour la simple raison qu’on priverait d’autres de la justice. En voulant donner ce droit aux détenus, on priverait d’autres citoyens de leurs droits. Or tous les citoyens ont le même droit. Nul n’est au-dessus de la loi.  Alors dans la situation guinéenne, tout est prioritaire et il est important de comprendre que le fait que la justice militaire n’a pas encore commencé à fonctionner normalement, je pense que c’est les moyens qu’il faut encore trouver pour faire rapidement fonctionner la justice militaire pour que ceux qui seront retenus coupables continuent d’être détenus dans les liens de la culpabilité et ceux qui  seront reconnus innocents  soient tous simplement relaxés. Mais il est important que la lumière soit faite sur cette affaire et qu’aucun innocent ne paie à la place de l’autre et aucun coupable n’échappe non plus. Donc il est important qu’on comprenne qu’il y a un besoin de prendre en compte le droit des détenus parce que la détention prolongée est quand même inacceptable. Nous l’avons dénoncé dans le cadre des détenus de Guantanamo, et dans d’autres situations à travers le monde. Nous n’acceptons pas la détention prolongée, mais cela ne nous donne pas non plus le droit de demander la relaxe des personnes détenues. C’est que nous pouvons demander c’est la mise en place de la justice chargée de tenir le procès et que les moyens soient trouvés pour que le jugement se fasse le plus rapidement  possible. Si nous demandons la libération de ces détenus nous agissons  contre le droit de  ceux qui ont perdu la vie et de ceux qui ont eu à subir des souffrances pendant ces événements-là. Il serait important que tout le monde soit tenu au même pied d’égalité devant la justice. Que la justice se tienne et que les coupables soient retenus dans les liens de la culpabilité que les non coupables soient relaxés. Et c’est une fierté pour les non coupables de se voir libérés par la justice  après un procès équitable, plutôt que de se voir libérés comme ça dans le doute. Le regard de la population est assez important. Quand on vous libère dans des conditions où les jugements n’ont pas eu lieu, on ne vous rend pas service, parce que le regard de la population ou le regard d’une partie de la population est parfois frustrant et vous n’aurez pas toute la fierté que vous méritez au sein de la population si vous êtes libéré sans jugement.   

Propos recueillis par Aly Badara Condé