En juillet 1985, le Général Lansana Conté, victime d’une tentative de putsch, rentre de Lomé à Conakry pendant qu’une des communautés ethniques du pays était victime de toutes sortes d’exactions et de représailles: des arrestations et emprisonnement à tour de bras, des commerces et habitations mis à sac etc. Ce déchaînement de violence était motivé par le fait que le cerveau de coup d’État manqué était issu de cette communauté. Pendant que les Guinéens s’attendaient à un discours appelant au calme et à l’apaisement de la part du Général Lansana Condé, ils ont eu froid au dos d’entendre ce dernier lâché deux phrases mémorables. En effet, il lance à ses partisans, auteurs des violences ciblées,  » wo fatara » c’est-à-dire  » vous avez bien fait ». Et à la communauté internationale, il dit clairement  » ceux qui veulent intervenir pour eux au nom des droits de l’homme devraient le faire dès maintenant, car demain ce sera trop tard ». Il faisait allusion aux personnes mises aux arrêts dans le cadre de cette affaire. On connaît la suite : plusieurs d’entre elles ont été passées par les armes. Cet épisode de l’histoire contemporaine du pays a considérablement contribué à accroître la haine interethnique dans notre pays. Malgré les années, les rancœurs sont encore perceptibles.
En 2019, des exactions d’une gravité certaine sont commises dans des quartiers précis de Conakry. Une dizaine de morts sont dénombrés. Des familles et bon nombre de Guinéens sont traumatisés par les images qui circulent et les témoignages recueillis ça et là, notamment par la presse. Les forces de l’ordre sont mises à l’index, preuves à l’appui.
Le minimum auquel les Guinéens pouvaient s’attendre à l’occasion de la première prise de parole publique du Président de la République, c’était des mots de compassion à l’endroit des familles endeuillées à défaut de condamner le comportement des forces l’ordre. Mais le fait de dire que « ce sont les opposants qui tuent des gens pour accuser le gouvernement et ternir l’image du pays » sans aucune pensée pour les victimes a estomaqué plus d’un.
Et même si ce sont les opposants qui tuaient leurs propres militants, fait inédit dans le monde, le devoir de l’État devrait être de diligenter des enquêtes afin que les auteurs, coauteurs et complices de ces actes criminels soient démasqués, traduits devant la Justice et jugés. Puisque, après tout, ce sont des Guinéens qui ont perdu la vie et que l’une des missions régaliennes de l’État est la protection des citoyens et leurs biens. L’État est obligé de protéger même les citoyens qui ne partagent pas ses vues. Il doit tenir la balance égale entre toutes les filles et tous les fils du pays en dépit de leurs divergences d’opinions.
Il est regrettable de constater que le discours consistant à dire que ce ne sont pas les forces de l’ordre qui tirent sur les manifestants s’est généralisé et devient en fin de compte un discours officiel. Et de l’autre côté, rien n’est fait pour identifier les tueurs. C’est pourquoi, il ne faut pas s’attendre à ce que le phénomène disparaisse ou diminue puisque les responsables de ces actes bénéficient d’une impunité absolue. Tous les observateurs avertis et impartiaux pointent du doigt les forces de l’ordre dans ces homicides même si dans les discours officiels celles-ci n’usent pas d’armes létales dans le maintien d’ordre. Il est du devoir de l’État donc de situer les responsabilités pour arrêter ce cycle de violences gratuites lors des manifestations.
Enfin, les Guinéens doivent accepter de tirer des leçons de leur Histoire commune. C’est la meilleure manière de mettre un terme à cette impression d’éternel recommencement. Sinon, le pays n’est pas loin de replonger dans un passé que l’on croyait à jamais révolu.

Me Mohamed Traoré
Avocat au Barreau de Guinée